Marre des injonctions philosophiques à s’aimer soi-même ? A aimer la fragilité et l’échec ? A déconnecter ? Cet anti-manuel est fait pour vous. On commence avec l’injonction à prendre son temps !
Tout part d’une prise de conscience : je me suis rendu compte de l’existence de toutes sortes de manuel pour bien vivre. Qu’il s’agisse de livres, de chroniques ou d’articles, les philosophes sont eux aussi convoqués pour nous guider au quotidien mais surtout pour l’améliorer. Prendre son temps, savoir dire non, appréhender autrement le réel, réapprendre à contempler, cultiver sa fragilité, ne plus viser la perfection : autant de clés pour mieux vivre, validées et approuvées par les plus grands penseurs.
Eh bien, tout cela me dépasse. Ce qui me dépasse, ce n’est pas de réduire la pensée des philosophes à quelques usages, peut-être simplifiés et tronqués, mais après tout, ceux-là aident bien à vivre et font à leur manière du développement personnel.
Non, ce qui me dépasse, c’est de fonctionner uniquement par mantras, conseils et principes. Et pire, ce qui me dépasse, c’est de proposer de déconstruire des injonctions d’urgence, de perfection ou de rentabilité par des injonctions certes contraires, mais des injonctions quand même…
Non, je n’ai pas envie de cultiver ma fragilité, non, je ne veux pas réapprendre à contempler le monde, non je ne veux pas positiver l’échec. Et en premier lieu, non, je ne veux pas prendre mon temps, car comme on l’entend partout il paraît que ….
Ça va trop vite !
Tout va trop vite, tout s’accélère, tout se fait dans l’urgence et rien ni personne ne peut attendre. C’est le constat que chacun d’entre nous pourrait faire : on a perdu le sens des priorités, notre attention est sans cesse sous pression, le stress est désormais la chose du monde la mieux partagée.
Face à cela, fleurissent les conseils pour prendre le temps, prendre SON temps, celui qui nous revient, qui nous permet de suspendre le cours des choses et de hiérarchiser les tâches à accomplir, celui qui nous permet de nous retrouver et de remettre du sens à ce désordre.
Mais vous ne trouvez pas cela paradoxal ? Comment prendre du temps alors qu’on en manque ? Comment ajouter une chose à faire parmi tout ce que l’on a déjà à faire ? A quel moment de ma journée intercaler ma suspension du temps ?
Peut-on souffler pour résister à l’accélération ?
Voici ma question : à quel moment de la journée vais-je pouvoir prendre le temps de suivre ma respiration ? A écouter les spécialistes de la méditation, souffler reviendrait littéralement à souffler. Et le faire provoquerait un changement non pas dans le déroulé de ma journée, mais dans la manière de l’appréhender.
Tout serait d’ailleurs une question de manière, de regard, d’attitude. Ne changez pas le monde et sa vitesse, changez plutôt votre rapport au monde et votre tempo. On a souvent tendance ainsi à opposer le temps du monde qui s’accélère à notre temporalité subjective, l’un serait objectif, non-modifiable, implacable, quand l’autre serait malléable, plastique, à nous donc de nous soumettre à l’accélération infernale ou de nous en émanciper, à nous de faire en sorte de suivre le rythme ou de le freiner, de souffler ou pas.
Mais là est le problème : c’est encore une chose à faire, encore une décision à prendre, encore une case à cocher, car il faut le dire : prendre son temps, résister au flot du monde, respirer, n’est pas seulement dur mais entretient l’illusion qu’on pourrait dominer la vitesse et le temps du monde… chose impossible.
Contre le ralentissement, le retard
Contre l’injonction à prendre son temps ou à le suivre parfaitement, voici donc ce que je propose, une troisième voie possible : être en retard.
Ni suspension du temps ni tempo millimétré, il faudrait développer toute une philosophie du retard, car seul le retard permet de tout faire tout en étirant le temps.
Etre en retard signifie bien que l’on a pris le temps, qu’on l’a étiré, qu’on en a profité, mais il ne signifie pas qu’on est dans l’illusion de l’arrêter.
Quand vous êtes en retard, vous regardez le temps filer, vous échapper, mais vous n’abdiquez pas, vous l’éprouvez.
Mieux : vous lui faites un pied de nez et vous vous accordez le droit de l’allonger.
Sons diffusés :
- Bigflo & Oli, Ça va trop vite
- Méditation guidée par Christophe André, "Suivre sa respiration"
- Extrait d'Alice au pays des merveilles de Walt Disney, 1951
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