

Quand les vacances ressemblent à du tourisme de masse, faut-il encore partir pour partir ?
Je rappelle le principe de cette sélection pour les vacances : une activité estivale / un livre. Après donc, photographier, pédaler, bronzer, s’angoisser, pour le dernier Journal de l’année : partir... J’aurais d’ailleurs peut-être dû commencer par-là : car partir est une des 1ères choses que l’on envisage pour nos vacances. Mais partir, ça veut dire quoi ? Où partir ? Et d’où ? Et comment ? Faut-il vraiment partir pour partir ? Et peut-on vraiment partir en partant ?
En août 2013, dans un discours prononcé lors de la conférence des Ambassadeurs, François Hollande faisait du tourisme une cause nationale… Et faire du tourisme peut justement être une des formes du départ, du fait de « partir ».
En effet, « partir » est un terme et une activité plastique, qui renvoie à tout un champ lexical pas forcément identique : voyager, s’évader, explorer, et donc aussi, faire du tourisme. Pourtant, “faire du tourisme” avec son écho à toute une machine économique bien huilée, semble à l’opposé des errances d’un départ, du dépaysement ou de la simple retraite en terre familière…
C’est bien ce qu’avait en tête François Hollande en parlant de tourisme d’ailleurs : il était loin de l’idée de « partir », de tout exotisme ou de tout repos, il nous parlait au contraire d’industrie touristique, active, sûre et rentable. Alors, comment en est-on venu à identifier « partir » et «faire du tourisme » ? Comment François Hollande en est-il venu à nous révéler l’un des paradoxes des vacances : quand on part, pensant tout quitter, on reste en fait toujours dans une grosse machine…
Les clubs de vacances incarnent peut-être la quintessence de ce paradoxe des vacances : partir quelque part, en pensant tout quitter, voyager, explorer, découvrir, se dépayser, et pourtant, rester dans les clous, dans la norme, faire comme tout le monde. Avec cette question : partir serait-il donc devenu impossible ?
Dans un livre qui vient de paraître aux éditions du CNRS, Du voyage rêvé au tourisme de masse, les deux auteurs Thomas Daum et Eudes Girard font d’une certaine manière ce constat : de l’accès aux lieux aux souvenirs en passant par les visites, les rencontres, le logement ou la restauration, sortir des circuits fermés du tourisme semble un défi. Comble : vouloir en sortir serait aussi devenu une industrie (du désir si banal de l’exploration authentique au récit soi-disant singulier du carnet de voyage partagé sur internet).
Alors, comment faire, comment partir ? Si partir, c’est-à-dire tout quitter, est devenu impossible, faut-il encore partir ? Ou faut-il, en tout cas, encore partir quelque part pour avoir l’impression de partir ?
Etre un Robinson Crusoé est l’un des clichés du voyage, et le rêve de la solitude insulaire est désormais un mythe touristique… Mais c’est peut-être que l’on pense trop en termes de géographie : « où pars-tu pour les vacances ? » appelle souvent une réponse en forme de destination (je pars à la mer, au Japon, dans ma famille), alors qu’on pourrait tenter d’y entendre un départ, une invention, un mouvement sous forme de renouvellement de soi, car on dit aussi bien partir pour tout quitter que pour redémarrer…
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