

À l'heure de Facebook et Instagram, des réseaux sociaux où chacun se met à nu, à l'époque de WikiLeaks, des théories du complot et de la transparence, avoir des secrets paraît un peu anachronique voire carrément suspect. Peut-on encore en avoir ?
Le secret a-t-il perdu de son charme ? A-t-on encore des secrets ? Bien sûr, il y aura toujours et encore des non-dits, de l'inconscient et des mensonges au moins par omission... Tout dire semble bien impossible.
Mais pourquoi ne pas tout dire, avoir, volontairement ou malgré soi, des secrets, semble aujourd'hui condamnable ? Comment défendre cette part d'ombre en nous et la nécessité de ne pas tout dire et tout savoir ?
C'est la philosophe et psychanalyste Anne Dufourmantelle, disparue en 2017, qui nous en donne la réponse dans cet essai qui reparaît aux éditions Rivages poche, Défense du secret. Elle en décline les différentes formes et commence avec le secret des secrets, le secret fondateur et universel : celui d'Œdipe.
Garder secret le secret
Dans Défense du secret, Anne Dufourmantelle commence ainsi avec le secret par excellence, le secret d’Oedipe qui, une fois dévoilé, lui est fatal. Car c’est bien quand il apprend qu’il tuera son père et épousera sa mère qu’il prend la funeste décision de partir et de commettre précisément le destin qu’il voulait fuir…
C’est donc tout l’enjeu du secret : le garder… secret, justement, alors même qu’on aimerait savoir, alors même que persiste cette croyance que savoir pourrait nous délivrer, nous libérer, nous apporter une lumière, nous faire avancer.
Le secret contient ainsi quelque chose qui ne demande pas à être connu, mais à être protégé.
Parler du secret, c’est donc paradoxalement seulement le nommer, l’avoir pour soi sans vouloir le connaître. Mais comment faire ? Comment parler du secret sans l’éventer ni attiser la curiosité ? Et comment faire aujourd’hui, quand on promeut le savoir, la vérité ou la libération de soi par la psychanalyse par exemple ?
Apprendre à ne pas tout savoir
Le secret semble le cœur de la psychanalyse. Anne Dufourmantelle, psychanalyste, en savait quelque chose et c’est ainsi qu’elle nous rappelle que c’est contre la grande bourgeoisie viennoise habituée aux non-dits et à la dissimulation que Freud avait élaboré ce processus de délivrance de soi par la parole, par ce travail qui pousse à “tout dire”.
Comment dès lors se libérer, sortir de l’obscurité, mais sans pour autant vouloir connaître les secrets qui nous travaillent ? La psychanalyse est-elle d’ailleurs au fond ce travail qui consiste à tout dire absolument ou à seulement savoir qu’il y a des secrets sans pour autant les divulguer ?
Cette dernière possibilité, savoir qu’il y a des secrets mais sans les connaître, est une première manière de défendre le secret, de l’entretenir, de le cultiver, sans être totalement dans l’obscurité. Une autre manière de défendre le secret est celle-ci :
Accepter que l’on ne sait pas
Au milieu des années 80 se déroule une affaire d’Etat, celle des écoutes téléphoniques demandées par le Président François Mitterrand. Questionné sur ce sujet quelques années plus tard, il refuse de répondre. On est proche du secret d’Etat. Et c’est bien une autre manière de défendre le secret : refuser de répondre. On connaît le secret mais on refuse de le divulguer.
On pourra invoquer la transparence, mais finalement, tant de choses nous échappent : les processus de la nature, des histoires de famille ou une certaine idée du destin.
L’idée, dans ce livre, en défendant le secret n’est pourtant pas de prôner l’ignorance, mais de savoir qu’il y a de l’ignorance. Car, et c’est la leçon de ces pages, vouloir connaître le secret n’est jamais synonyme de vérité mais de volonté de puissance, de maîtrise. Or, ne pas connaître un secret n’est pas être ignorant, mais accepter très sagement que l’on sait que l’on ne sait pas.
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