Philosophie lunaire

La Lune
La Lune ©Getty - Alexander Rieber / EyeEm
La Lune ©Getty - Alexander Rieber / EyeEm
La Lune ©Getty - Alexander Rieber / EyeEm
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Il y a 50 ans, l'homme marchait pour la première fois sur la Lune. Pour fêter cet anniversaire, plusieurs événements auront lieu toute l'année et il y a quelques jours, nous découvrions un cliché révélant la face cachée de la Lune... À quoi pourrait ressembler une petite philosophie de la Lune ?

La lune face au soleil

Faire la lumière sur un astre qui ne se montre que la nuit n’est-il pas paradoxal ?
D'autant que l'expression “être dans la Lune” exprime le fait d’être distrait, d’être perdu dans ses pensées, loin d’un travail éveillé de la raison... À écouter la célèbre chanson de Charles Trenet, la Lune semble en effet sans cesse nous échapper, jamais au rendez-vous, seulement présente quand la lumière ne l’est plus. 

La Méthode scientifique
58 min

C’est la première caractéristique de la lune, toujours comparée au Soleil, elle ne brille pas autant que lui, elle ne s’impose pas, elle ne fait pas le jour sur le monde, elle ne l’illumine pas de ses lumières.
Faut-il en déduire que la Lune, pure obscurité, résiste à toute connaissance et ne relève que de la croyance, de la mystique, voire, justement, de l’obscurantisme ?

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Au contraire ! Car la Lune a ceci de particulier que, bien qu’elle soit l’envers du Soleil, elle n’en a pas moins une identité propre, saisissable, mais une identité qui n’est pas pleine, qui n’est pas constante, une identité discrète et toute en nuance. 

C’est ainsi qu’Aristote, dans son Traité du ciel, lui faisait déjà une place précise et lui attribuait un rôle de partage entre le monde au-delà de la Terre (le supralunaire) et le monde sur Terre (le sublunaire). Et c’est bien ce dernier monde, sous la Lune, soumis à ses cycles, à ses variations, à ses inconstances, qui faisait de la Terre le lieu de l’altération, du changement, de la nuance… 

Identité secrète

Si l’on tente de retracer très rapidement une histoire de la Lune, force est de reconnaître qu’elle a occupé une place de choix : qu’il s’agisse des manuels scientifiques de cosmologie, d’astronomie, des traités ésotériques d’astrologie, ou des récits littéraires (il existe même un genre appelé “fiction lunaire”), la discrétion de la Lune n’a pas empêché son omniprésence dans le savoir et l’imaginaire. Mais quel rôle a-t-elle joué précisément ? 

On pourrait dire que, malgré sa dimension scientifique, le terme même de “lune” invite tout de suite à la rêverie ou à la confidence, à se laisser aller à l’imagination, à la divagation, la nuit, au chaud dans son lit. C’est la berceuse Au Clair de la Lune, le beau titre du film de Kenji Mizoguchi, Les Contes de la Lune vague après la pluie

C’est le roman de Jules Verne, De la Terre à la Lune, où la Lune, même quand elle est l’objet d’une conquête spatiale, apparaît comme l’inconnu, le caché, l’inatteignable sur lequel on projette tous nos fantasmes. C’est aussi l’Histoire comique des Etats et Empires de la Lune de Cyrano de Bergerac dans lequel les habitants de la Lune font tout le contraire des humains. 

C’est comme si la Lune, toute en nuance, en discrétion et en délicatesse, symbolisait, à travers de multiples récits, ce qui précisément ne doit pas se dire : le secret. 

La perte de l’au-delà

Mais que faire de toute cette philosophie lunaire alors même qu’elle n’est désormais plus un secret, alors même qu’on l’a conquise, qu’on l’a foulée ? Hannah Arendt, dans son prologue de 1958 à la C_ondition de l’homme moderne_, 11 ans avant les premiers pas sur la Lune, avait pointé ce désir humain de s’échapper de la Terre pour conquérir l’espace et la Lune. 

Mais n’était-ce pas le cas avant ? La Lune n’était-elle pas déjà le lieu où devaient se loger nos secrets, nos fantasmes, nos désirs ? Aurait-elle perdu son aura et de sa valeur dès qu’elle a été vraiment parcourue ? D’une certaine manière, oui. 

Si la Lune, comme l’a analysé Mircea Eliade, dans Une Nouvelle Philosophie de la Lune, en 1943, avait une fonction métaphysique de lien entre les hommes par rapport à un au-delà, sa conquête a aboli cette fonction… La Lune n’est plus un au-delà, l’objet du secret et d’une quête. Mais fêter les 50 ans des premiers pas sur son sol nous rappelle qu’il y a encore de la place pour cultiver cet au-delà dans nos esprits et nos imaginaires, en nous. 

Sons diffusés :

  • Charles Trenet, Le Soleil a rendez-vous avec la Lune
  • Adaptation radiophonique de De la Terre à la Lune de Jules Verne
  • Archive des premiers pas sur la Lune