Pour une philosophie de la bombe nucléaire

Image du film de Stanley Kubrick Docteur Folamour
Image du film de Stanley Kubrick Docteur Folamour ©AFP - COLUMBIA PICTURES CORPORATION / COLLECTION CHRISTOPHEL
Image du film de Stanley Kubrick Docteur Folamour ©AFP - COLUMBIA PICTURES CORPORATION / COLLECTION CHRISTOPHEL
Image du film de Stanley Kubrick Docteur Folamour ©AFP - COLUMBIA PICTURES CORPORATION / COLLECTION CHRISTOPHEL
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A l’occasion de la journée spéciale sur France Culture, « Le retour des radicalités », c’est une arme tout à fait radicale sur laquelle je me suis aujourd’hui penchée et qui plane sur nos têtes…

L’arme nucléaire ! Depuis le mardi 4 juillet et l’annonce par la Corée du Nord du premier tir de missile intercontinental, voilà le genre d’informations que l’on a pu entendre ou auxquelles on a pu s’attendre.

Mais s’y est-on, pour autant, habituer ? A-t-on pu s’habituer, c’est-à-dire s’accoutumer, se faire à l’idée, se rendre familière, l’idée inouïe de l’anéantissement de l’humanité tout entière ?

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Car là est bien l’enjeu philosophique du nucléaire : pousser à concevoir l’inconcevable, imaginer l’inimaginable, rendre réel l’irréel d’une menace folle… Si l’impossible est possible depuis Hiroshima, l’impensable est-il lui aussi pensable ?

« Le feu et la fureur tels que le monde ne l’a jamais vu »… Donald Trump et ses menaces nous poussent à envisager ce feu et cette fureur, à voir se réaliser nos incertitudes, nos inquiétudes, et l’incommensurable du nucléaire…

Depuis les années 50, c’est d’ailleurs ce que plusieurs philosophes ont tenté de faire : Raymond Aron, Hans Jonas, plus récemment Peter Sloterdijk, et en 1957, et en pas moins de 700 pages : Karl Jaspers avec son livre, La bombe atomique et l’avenir de l’homme.

Dès le titre, on l’entend, il avait choisi d’aller plus loin que ce paradoxe de penser l’impensable, il avait choisi de voir, au contraire, dans la bombe « l’avenir de l’homme », d’en faire, je cite, « une forte chance de se ressaisir et même l’unique chance offerte de rénover notre politique ». Mais comment penser la renaissance de l’idée même de destruction totale ?

7 ans après la parution du livre de Karl Jaspers, Stanley Kubrick nous offrait pour sa part le Docteur Folamour : de quoi révéler, encore sous une autre forme, tout l’absurde de la bombe atomique. Et comme Karl Jaspers, il allait plus loin que cet absurde né du paradoxe de penser l’impensable ou de naître de la destruction : il ne faisait pas seulement de la bombe une possibilité, mais une nécessité.

Car, oui, envisager de faire disparaître la bombe nucléaire ou sa menace est aussi fou que la bombe elle-même : il faut plutôt y voir une nécessité, il faut bizarrement l’accepter, la penser, pour s’en émanciper, pour s’en dissuader… et non pas pour la rendre raisonnable, mais pour être, nous-mêmes, raisonnables… d’où toutes ces dernières très belles pages de Karl Jaspers sur « le courage de la raison », et son exigence, malgré la nécessité, que « chacun pense en homme libre ».

Face à la radicalité de la bombe, la radicalité de la raison !

EXTRAITS :

-Journaux de France 2, RTL et France Culture du lundi 4 septembre 2017

-Déclaration de Donald Trump le 8 août au golf de Bedminster dans le New Jersey

-Docteur Folamour de Stanley Kubrick (1964)