La distance nous aurait-elle rapprochés virtuellement ? Rien n'est moins sûr. Quand Géraldine Mosna-Savoye dégaine son téléphone pour actualiser son fil Instagram, au-delà de prendre des nouvelles de ses amis, son attention est toute à ceux qui l'énervent : d’où vient l'attraction pour l'aversion ?
On a beaucoup parlé ces derniers temps de la manière dont le confinement redéfinissait les rapports entre les uns et les autres. Entre la redécouverte des pouvoirs du local et Skype, l’amitié semble totale. Contre toute attente, la distanciation sociale ne nous aurait donc pas séparés… mieux, elle serait le ciment d’une nouvelle forme de sociabilité.
Mais est-ce si sûr ? Car pour ma part, explorant plutôt les pouvoirs du réseau social et du virtuel, c'est moins la sociabilité que ses lacunes que je redécouvre…
Relations virtuelles pas forcément belles
Entraide dans un immeuble, soin à petite échelle ou voisins solidaires, alors que les initiatives locales semblent se multiplier, je m’enfonce, pour ma part, un peu plus dans le virtuel et la longue distance : comme à mon habitude, mais en pire, téléphone à portée de mains, je regarde d’emblée Twitter et Instagram. Et à vrai dire, je ne pourrais même pas dire combien de temps j’y passe ou ce que j’y vois. Les images et les post s’enchaînent dans un flux et un flou continu, à l’image de ces journées confinées.
Certes, j’y ai des amis, dont je prends des nouvelles, ou des contacts dont je suis l’actualité, mais il faut bien le dire, ce qui retient mon attention, c’est moins les gens que j’aime que ceux qui m’énervent.
Rien de nouveau sous le covid : les relations virtuelles sont peut-être bien réelles, mais pas forcément les plus belles. Je vous rassure : je n’en suis pas non plus au passage à l’acte haineux, je ne suis pas un troll ou un hater.
Non, j'en suis et j'en reste à un autre stade, un stade inférieur mais répandu, ce stade sournois mais solide : l’attraction à suivre, à scruter, à examiner les personnes qui nous agacent, qui nous exaspèrent, qui nous horripilent.
Si certains ont cette tendance, fâcheuse, à se montrer, à se mettre en scène, à faire les intéressants, d’autant plus en confinement, d’autres ont celle, tout autant fâcheuse, de les regarder pour mieux les détester. Mais d’où vient donc cette attraction pour l’aversion ?
La recherche de l'agacement
L’art en témoigne, ou l’amour : on peut élever au rang d’oeuvre quelque chose de moche, il peut y avoir de la beauté dans la laideur, on peut être attiré par ce qui nous déplaît. Les exemples sont légion et il doit y avoir des explications psychologiques à ce paradoxe de l’attrait pour ce qui repousse.
De la même manière, il doit bien y avoir une explication du même type pour ce plaisir à scruter les personnes qui nous insupportent : la curiosité malsaine, le masochisme, ou une pulsion quelconque…
C’est vrai que la recherche de l’agacement a quelque chose de l’excitation, comme si l’on désirait être titillé, énervé, littéralement. Et c’est vrai qu’il y a une forme de plaisir à être maintenu dans cet état fébrile, tendu. Mais est-ce là la seule explication ? Serait-ce seulement par un plaisir détourné que je cultiverais l’agacement, l’exaspération voire la détestation ? Comme le potin où l’on aime à médire, ou comme les magazines people où l’on se délecte de la chute des stars, serait-ce seulement par plaisir pervers qu’on se tiendrait sur ce fil juste avant la haine ?
Une question de comparaison
Je ne crois pas, car ce serait presque trop simple : du plaisir tiré de la douleur, ou l’inverse… quoi de plus banal. Plus que le goût pour l’énervement, plus qu’une jouissance tirée de l’agacement, l’attraction pour l’aversion n’est pas qu’une question de plaisir et de peine. C’est aussi, je crois, une question de comparaison. De comparaison, et pas de jalousie ou de complexe d’infériorité qu’on voudrait entretenir ou enrayer.
Car voilà, celui qui aime à regarder les personnes qui se montrent et qui l’agacent, ne se dit pas forcément : "pourquoi fait-elle ça, et pas moi ?". Au contraire, celui-là se demande plutôt : "pourquoi ne fait-elle pas comme moi ?", "pourquoi veut-elle s’imposer à moi ? avec ses selfies, ses histoires et ses leçons sur le monde ?".
Cette attraction pour l’aversion, qu’on voit d’un mauvais oeil, est en fait une fascination pour l’antipathie, un désir de comprendre ce qui ne marche pas entre deux personnes, cette distance, cet écart irréductible entre elles : qu’est-ce qui fait que l’une ne puisse pas se mettre à la place de l’autre, et inversement ?
Voilà, je crois, pourquoi je passe mon temps à suivre, regarder, examiner des individus que je n’aime pas (et c’est une explication déculpabilisante) : juste pour comprendre ce qui nous sépare…
Sons diffusés :
- Reportage France 3 sur les Voisins solidaires, 10/03/2020
- Chanson de Félix Marten, T'es moche
L'équipe
- Production
- Collaboration