Le soin, avant d'être une notion de développement personnel, est un concept philosophique, aussi appelé "care", théorisé par Carol Gilligan. Prendre soin c'est repenser son rapport à l'autre, mais dans le développement personnel, ce dernier disparaît au profit de soi. Que reste-t-il alors du soin ?
J’aimerais aujourd’hui vous parler d’un terme qui revient souvent, pour ne pas dire tout le temps, dans le développement personnel : le soin ! Le soin, il faut le rappeler, est d’abord un grand concept en philosophie, on parle aussi du care, en reprenant la théorie de la psychologue et philosophe américaine, Carol Gilligan.
Pour le dire vite, le soin est une manière de repenser les rapports à autrui en termes d’attention et de sollicitude, en mettant ainsi l’accent sur l’idée de relation, relation singulière et incarnée à l’autre, plutôt que sur de grands concepts abstraits comme le bien, la justice ou la vie. Mais bizarrement, quand on parle de soin en développement personnel, la relation à l’autre disparaît complètement et on parle d’abord de prendre soin de soi… or, que reste-t-il du soin quand il ne concerne que nous ?
Se développer = prendre soin de soi
Prendre soin de soi… quand j’ai dit que le soin revenait tout le temps dans le développement personnel, j’aurais même dû dire qu’ils étaient employés comme des synonymes. Faites une recherche en tapant « développement personnel » et vous ne tomberez que sur des articles, des livres ou des vidéos qui vous diront comment prendre soin de vous, de votre temps, de votre histoire et j’ai même lu de votre « enfant intérieur ».
Se développer, c’est donc prendre soin de soi. Ce qui est doublement problématique : pourquoi se développer passerait-il en effet forcément par le soin ? le soin est-il vraiment équivalent au développement, à l’amélioration, à l’accroissement ?
Mais aussi : pourquoi se développer serait-il forcément un développement de soi et pas des autres ? Où est donc passé l’autre dans cette promotion du soin ? Alors, oui, je vois bien que dans développement personnel, il y a « personnel ». Mais « personnel » ne veut-il dire qu’à propos de soi et personne d’autre ?
Les objections qu’on entend sont légitimes : le développement personnel implique une forme d’égoïsme, mais surtout, et c’est ce qui me frappe, il détourne l’idée même du soin, de l’autre vers soi, soi-même et personne d’autre.
Or, peut-on encore parler de soin quand il ne s’agit que de soi ?
Les dangers du soin de soi
Prendre soin de soi est une idée désormais entendue, admise. Les soins de beauté ne concernent d’ailleurs que cette idée : prendre soin de soi pour briller, être à son meilleur, se sentir bien et le montrer. L’idée est un peu superficielle mais pas inintéressante quand on sait que l’on peut avoir tendance à se négliger, à se mettre à l’épreuve, soit par excès d’altruisme, soit par excès d’ambition. Mais cette idée a beau être admise, promue, vendeuse, belle, ou autre, je dois dire qu’elle me laisse, malgré tout, perplexe.
Déjà, parce que, comme je l’ai dit, elle a une dimension égocentrée qui me semble contraire au concept de soi. Mais aussi, parce qu’elle me semble ne mettre l’accent que sur la dimension cosmétique du soin : prendre soin de soi, c’est être soigné, entendez : être présentable, ce qui paraît bien loin de l’idée d’un réel développement, d’un réel déploiement de soi.
Mais surtout, parce que prendre soin de soi me fait tout de suite penser à ça : j’imagine que mon moi (sorte de masse informe qui aurait mes yeux) est sur un brancard, admis à l’hôpital, soumis à des soins, ausculté, ou alors dans un lit avec ma maman qui me lit une histoire. Or qui veut ça ? Qui veut s’auto-ausculter ? Qui veut s’administrer des soins ? Qui veut s’auto-materner ? Il faut se rendre à l’évidence, quand on prend soin de soi, on se fait son propre patient ou son propre enfant.
Mise en scène de son moi
Le soin est un concept à la mode. C’est vrai qu’on en manque cruellement, on manque cruellement d’une théorie intersubjective de la justice. Mais le soin de soi ne manque pas. Au contraire. Car il concentre, sous un aspect éthique, ce qui ne l’est pas : il force l’individualisme, la superficialité, et surtout, il implique une mise en scène de soi, sur le mode infantile ou maladif.
C’est, je crois, le pire à mes yeux, car prendre soin de soi, c’est au fond mimer une position de fragilité et de vulnérabilité et en priver ceux qui en ont besoin, c’est ainsi réduire le soin à une simple posture et à ses trois premières lettres…
Sons diffusés :
- Vidéo Youtube, Les défis des filles zen par Mylène Fuller, 30 janvier 2017, « PRENDRE SOIN DE SOI »
- Publicité L’Oréal
- Chanson de Beyonce, I Care
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