Que se passe-t-il quand on déménage ? Au-delà d'une question de meubles, de bibelots, ou même de quartier, comment s'approprie-t-on un espace nouveau ?
Quand j’ai annoncé que je déménageais, on m’a répondu que c’était un des plus grands traumatismes de l’existence avec, bien sûr, le deuil et l’accouchement. J’ai trouvé ça un peu excessif… mais c’est vrai que, même la fatigue passée, même les cartons déballés et les meubles replacés, et le quartier un tout petit peu appréhendé, persiste une forme d’étrangeté, je me suis demandé à quel moment on retrouvait cette sensation d’être chez-soi.
Que signifie être chez soi ?
A quoi mesure-t-on la sensation d’être chez soi ? Déménager n’est pas qu’une question de meubles, s’il suffisait de reposer son canapé pour se sentir à l’aise, personne ne m’aurait dit que déménager était un événement traumatique. C’est fou d’ailleurs la façon dont les meubles chargés d’usages et de souvenirs se défont vite du passé, sans état d’âme.
Cette étagère qui me servait de bibliothèque et que j’ai donnée à un ami, est devenue, chez lui, un meuble d’enfant où des couches sont exposées et des jouets éparpillés : il ne reste rien des milliers de pages qu’elle avait supportés. Même chose avec cette commode où je posais mes tasses de café, même les cercles noircis de la boisson n’ont pas empêché mes vêtements de venir s’y accumuler.
Pourtant, je dois dire que je suis toujours contente d’apercevoir cette étagère, même envahie par des couches, et que j’ai toujours un petit sourire en redécouvrant ces traces de café sous un t-shirt. Même si déménager n’est pas qu’une question d’immobilier et de mobilier, l’espace et les meubles supportent quand même notre quotidien, ils le cadrent, lui donnent des contours.
Alors, à quel moment deviennent-ils plus qu’une étagère, qu’une table ou autre ? Y a-t-il un aménagement spécifique, idéal, pour qu'un lieu devienne plus qu’un logement, mais une maison en tant que telle, que l’on habite, où l’on se sent protégé, à l’abri, où l’on peut circuler les yeux fermés ?
Un délai nécessaire pour s’approprier les lieux
Pour se sentir chez soi, il n’y a donc pas que des conditions uniquement spatiales et matérielles (le lit placé la tête au nord, de la place ou une étagère sans couches…) : ce n’est pas nouveau, tout le monde sait que prendre possession des lieux, se les approprier, est aussi une question de temps. Mais quel est alors le un temps défini, nécessaire, pour se sentir chez soi ? Y a-t-il un délai obligatoire ? Combien de temps me faudra-t-il pour reconstituer un quotidien, pour que soient recouvertes les traces de café sur un meuble, ses usages passés, ses souvenirs, pour que des gestes deviennent presque automatiques (là l’interrupteur, là les assiettes, là les prises), pour que des trajets deviennent des sentiers battus (de la chambre à la salle de bain, de la cuisine au salon), pour que je m’habitue à des failles (une poignée cassée que je ne réparerai jamais, un volet coincé, le bruits des voisins) ?
Mais est-ce seulement une question de temps ? Cela me semble trop facile, parce qu’alors il suffirait que j’attende pour que mon quotidien reprenne forme ? Je suis face à une impasse : qu’est-ce être "chez soi", si bizarrement ce n’est pas qu’une affaire d’espace et de temps ?
Voilà donc ma question : de quoi est fait un chez-soi ? Est-ce que je peux le créer ? Ou est-ce qu’il advient ? Et comment : malgré moi ou grâce à moi, consciemment ou inconsciemment ?
Entre les objets et entre les gestes
Le chez soi excède largement le cadre spatio-temporel. Il n’est pas visible mais il n’est pas absent. Il est palpable mais intangible. On se sent chez soi mais on ne peut pas le désigner, on ne peut pas le faire résider en un objet, en une habitude. Je dirais même que le chez soi se situe précisément entre les objets, entre les gestes quotidiens : il est paradoxalement sans lieu, il enrobe les lieux. En fait, il a quelque chose de l’air du temps, de ce nom bien trop employé de "ressenti", il a quelque chose de l’atmosphère. Et c’est une interrogation que j’ai souvent eue : c’est quoi l’atmosphère ? C’est une autre question, dont peut-être aurais-je la réponse en trouvant mon chez-moi.
par Géraldine Mosna-Savoye
Sons diffusés :
- Bing Crosby, Home sweet Home
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