Le réel existe-t-il vraiment, objectivement, indépendamment de moi ? Ou est-il ensorcelé par mon imagination ? N’est-il qu’une construction de mes sens, de mes attentes, de mes espoirs et projections ? Ce sont les questions que soulève le philosophe Nicolas Grimaldi dans son dernier livre.
Nicolas Grimaldi publie Sortilèges de l'imaginaire : La vie et ses égarements, aux éditions puf.
Le problème du réel est épineux en philosophie : terme suremployé au quotidien notamment sous sa forme d’adverbe, il agit comme un argument d’autorité, « ça s’est réellement passé comme ça » peut-on dire pour mettre fin à une conversation, synonyme de vraiment et d’objectivement.
Mais qu’est-ce qui nous assure que le réel est vrai et objectif et pas le fruit de mon imagination ? Qu’est-ce qui m’assure que je ne prends pas mes rêves pour la réalité ?
En finir avec le réel sans le faire disparaître
Rêves, fantasmes, sexualité, amour, rapport à soi et aux autres, croyance, foi et religion, politique et idéologie, et bien sûr, art… Peu de domaines semblent échapper à la puissance de l’imagination, aux sortilèges de l’imaginaire pour reprendre le titre du livre de Nicolas Grimaldi. Domaines qu’il traite tous dans de courts chapitres en partant de cette question sur le réel : peut-on jamais percevoir la réalité en tant que telle ? Quand on la perçoit, voit-on seulement notre imagination à l’œuvre, consistante, ou peut-on voir autre chose que ce que l’on imagine, la réalité donc, capable de confirmer ou infirmer notre imagination ?
Vous le voyez, le problème du réel n’est pas seulement épineux ici, il est crucial car loin d’être un problème lointain, abstrait, métaphysique, un problème de concurrence entre l’entendement et l’imagination où il s’agirait simplement de réhabiliter cette dernière comme une ouverture sur le monde, une place faite à l’évasion et à la beauté, ce problème interroge l’essence du réel, sa capacité à être perçu en tant que tel et sa puissance. Comment donc interroger le réel, en finir avec son autorité, débusquer la part d’imaginaire qui le pétrit, qui l’informe, sans pour autant le nier complètement et le faire disparaître ?
Le cas de l’amour
L’imaginaire est au cœur de notre vie, de ce que l’on perçoit, des relations avec soi et avec les autres, au cœur enfin de nos convictions, de nos croyances et de nos rêves.
Dans cette situation, difficile de faire la part des choses entre ce qui est réel et imaginé, entre la réalité et ce que l’on en attend.
L’amour, à cet égard, est frappant : on attend de tomber amoureux, on veut tomber amoureux, on se rend disponible à cet amour en voyant autour de nous tout un faisceau de signes, en faisant d’une femme rencontrée une « apparition » ; et quand on est amoureux, on ne passe pas tout le temps à l’acte, l’amour peut se passer de sexualité, de concret, de réalité, comme pour Madame de Mortsauf dans Le Lys dans la vallée d'Honoré de Balzac… Enfin, jusqu’à un certain point.
Mais jusqu’où ? Jusqu’où peut-on se passer du réel ?
La tentation de la postréalité
Dans La nausée de Sartre, le personnage de Roquentin est saisi d’une terrible angoisse face à cette réalité justement : a-t-elle une consistance, une solidité, une assise ?
Peut-on être sûr d’elle ? La réalité a la vertu de nous rassurer… jusqu’au point où l’on doute d’elle.
C’est tout le paradoxe de la réalité : et si c’était elle, et non l’imagination, le fruit d’une construction totale ? On se demande comment cesser de l’invoquer, tout en la préservant, mais le faut-il ? Alors que l’on parle de « postvérité », faudrait-il parler de « postréalité » ?
Le propos de Nicolas Grimaldi est politique : terrorisme, idéologie, excès de la foi sont présents dans ces pages. Et c’est avec le personnage de Roquentin, pourtant saisi de nausée face à un arbre, qu’il redonne sa place à la réalité : quand il écoute ce ragtime, il prend alors conscience de la plénitude de la réalité, elle n’est pas sous ses yeux mais dans ses oreilles, bien présente mais invisible.
Sons diffusés :
- Chanson de Richard Sanderson, Reality
- Extrait du film Baisers volés de François Truffaut : discussion entre Antoine Doinel (Jean-Pierre Léaud) et Fabienne Tabard (Delphine Seyrig)
- Musique de Cab Calloway, Some of these days
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