En cette période de grève, le terme "collectif" s’est imposé partout : mouvements collectifs, actions collectives, goût du collectif... Mais comment définir le "collectif" au-delà d'un "tous ensemble" ? Qui se retrouve en lui, et pourquoi ?
Le 16 janvier dernier, le philosophe Jacques Rancière a fait une déclaration devant les cheminots grévistes de la gare de Vaugirard, déclaration qu’a publiée Le Monde la semaine dernière.
En quelques paragraphes, il formule son « soutien total » à cette lutte qu’il qualifie d’exemplaire, mettant l’accent sur la dimension collective qui s’y joue : engagement de la communauté, défense d’un monde commun, collectivité de travailleurs, solidarité comme principe premier, les chemins de fer comme propriété de tous.
« Collectif »… le mot ne m’avait jamais interpellée jusqu’ici. Il me semblait évident, un peu comme la notion d’engagement dont je vous parlais hier. Et pourtant, à force de l’entendre, l’occasion est peut-être venue de l’interroger.
L’informe collectif
En cette période de grève, le terme « collectif » s’est imposé dans nos conversations. On parle de mouvement collectif, d’appel collectif, d’actions collectives, et on attend des réponses collectives. Je ne sais pas si, comme le dit Philippe Martinez, on a retrouvé le goût du collectif, mais il est certain que le collectif est bien au goût du jour.
Mais que faut-il entendre par-là ? Qui est en jeu dans ce collectif ? Qui y prend part ? Qui le constitue ?
En général, quand on pose cette question, on a droit à des réponses du type : le collectif, c’est quand on est tous ensemble, quand on est avec les autres, quand on n’est pas dans son coin en fait. Mais peut-on se satisfaire de ce genre de réponse tautologique où l’on répond à coup de synonymes ? Qui est ce « on », qu’est-ce que ça veut dire « être ensemble », qui sont ces autres ?
Ce qui me frappe, au fond, avec ce terme de collectif, c’est qu’il séduit tout le monde (sauf peut-être les plus solitaires) mais qu’il est rarement défini pour lui-même (c’est d’ailleurs sûrement pour ça qu’il séduit tout le monde). Chacun peut s’y retrouver, évoquant tour à tour le collectif d’artistes, la collectivité territoriale ou les sports collectifs, les sports-co comme on dit. Terme souple, je dirais même il a quelque chose de l’informe. Plus serré quand même que le terme de « masse », il n’a pourtant pas la vigueur du « groupe » ni la structure de la « communauté ». Qu’est-ce qui peut bien alors réunir tous ceux qui se retrouvent en lui ?
Le remède à l’individualisme
Un des meilleurs moyens pour définir le collectif est encore de passer par son contraire : l’individuel. Ou pire : l’individualisme. Une chose est sûre, l’individuel ne sonne pas pareil à nos oreilles : quand le collectif évoque l’ouverture, l’empathie, la relation, l’individuel nous enferme dans la solitude, le repli, l’égoïsme. En lisant le Dictionnaire de philosophie politique, il est fou de constater que le collectif n’y a pas son entrée, quand individu et individualisme sont développés sur 3 pages.
Mais là encore, est-ce suffisant ? Peut-on se satisfaire d’une réponse qui passe par un antonyme ? D’une réponse large, vague, lâche mais rassurante parce qu’elle serait le remède à l’affreux individualisme ?
Il faut en effet se le demander : le collectif est-il seulement le contraire de la solitude, le rassemblement ponctuel d’individus qui, d’habitude, sont séparés ? Ou est-il plus ça, plus qu’une somme d’individus atomisés, une nouvelle entité qui dépasse ces individualités, peut-être vouée à durer ? Mais sur quoi, avec quoi, en faisant quoi ? Comment est-elle vouée à perdurer ?
Les risques du collectif
Qu’est-ce que le collectif, comment peut-il atteindre l’osmose ? La question me semble importante car à ne pas définir le collectif, à ne pas en donner la consistance, on prend le risque de donner à tous l’envie d’en faire partie mais celui, en retour, que personne ne s’y reconnaisse, et qu’au fond, il s’étiole.
C’est le problème du collectif : englobant, total, il est aussi lâche, vague. Il attire mais ne retient personne. Je ne dis pas qu’il s’agit d’élaborer en quelques minutes un nouveau Contrat social à la manière de Rousseau, de décider de règles politiques en quelques lignes, c’est toute l’œuvre de la philosophie politique, mais de se demander ce qu’on entend par « collectif », et ce qu’on en attend, parce qu’il est justement une dimension des réformes actuelles.
De quel collectif voulons-nous ?
Sons diffusés :
- Philippe Martinez sur BFM TV le 5/05/2019
- discours d’Emmanuel Macron en Bretagne, diffusé sur BFM TV le 3/04/2019
- dande-annonce du film Riens du tout de Cédric Klapisch
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