

Le développement personnel nous exhorte à l'écoute de notre vie intérieure, pourtant, elle nous incite aussi à cesser de ruminer. Il faudrait donc plonger en soi, mais pas trop... Trop penser serait-il mauvais ? Ou existerait-il une saine et une mauvaise manière de penser ?
En commençant cet anti-manuel, je n’avais pas du tout pensé que ce sujet avait une telle place dans le développement personnel. Et pourtant, j’ai dû me rendre à l’évidence : les ruminations sont un des sujets les plus traités, les plus ruminés si j’ose dire, par la littérature de coaching… Synonymes de pensées négatives, inutiles, épuisantes, l’objectif est clair : il faut s’en débarrasser.
D’où ma question aujourd’hui : pourquoi ne plus vouloir ruminer ?
La répétition de la rumination
Si vous tapez « ruminations » sur internet, vous allez tomber sur une somme impressionnante d’articles, de chroniques et de vidéos sur le sujet. Malgré cette profusion, le traitement du sujet reste, il faut le dire, assez homogène. C’est comme si la dimension répétitive de la rumination avait condamné tous ceux qui en parlent à dire la même chose. Et notamment à travers trois points communs :
- tout d’abord, on trouve l’éternelle et même définition et description de la rumination. Après tout, c’est normal : une définition, par définition, énonce les traits permanents d’une chose. Mais ce qui est frappant avec la rumination, c’est qu’elle est toujours décrite par le même biais : on pourrait s’en tenir au fait qu’elle tourne dans notre tête, mais là, le biais est d’emblée celui de la pensée répétitive, et donc lassante…
- de là, le 2ème point commun à toute cette littérature sur le sujet : la rumination, ce n’est pas qu’une pensée qu’on mâche et remâche, c’est aussi quelque chose qui nous affecte, qui nous ferait du mal, et qui du coup, serait mal. Le fait de tourner et retourner une chose dans son esprit est tout de suite pris sous un angle moral voire pathologique. Il y aurait là le symptôme d’une maladie qui rongerait notre vie intérieure.
- d’où, enfin, ce 3ème point commun : la rumination doit être évincée.
Faut-il arrêter de ruminer ?
Dit comme cela, l’enchaînement et la solution paraissent logiques : ruminer me fait du mal, je dois donc ne plus le faire ni en être la victime. Mais est-ce si logique que cela ? La rumination est-elle forcément mauvaise en elle-même ? Faut-il à tout prix en sortir ?
En fait, cette affaire de rumination me semble paradoxale à deux titres :
- d’abord, parce que la rumination me semble ne devenir nocive qu’à partir du moment où on en fait un problème : en quoi ressasser un fait, une pensée, une situation serait-il en soi si mauvais ? Pas besoin de faire appel à tous les philosophes de la répétition comme Nietzsche ou Deleuze, pour se dire que l’éternel retour a aussi quelque chose de musical telle une ritournelle, ou a quelque chose qui demande à être élucidé, travaillé, telle une répétition de théâtre.
- ensuite, ce rejet me semble paradoxal parce que la rumination me semble être le débouché presque naturel de ce à quoi exhorte le développement personnel ou les tirades sur notre vie intérieure. C’est presque un comble : on nous demande, dans le même temps, d’être à l’écoute de notre être, sans s’y plonger, pourtant, trop profondément.
Une pensée reste une pensée
Trop penser serait donc terrible. C’est bizarre parce que je croyais que c’était plutôt le contraire, le fait de ne pas assez penser, qui était terrible. Alors, oui, je sais bien qu’aucun coach ne promeut le fait de ne pas penser, mais il y aurait malgré tout une manière saine et juste de le faire. Il y aurait donc une différence entre réfléchir et ruminer.
Eh bien, je ne crois pas en fait. Car entre une réflexion et une rumination, une pensée reste une pensée. Elle ne vient jamais en bonne et due forme, d’une seule manière, en une seule et unique fois, on se la reformule, on la mélange à d’autres pensées, à des sentiments et des sensations. On la pétrit, on se refait le film, parfois jusqu’à l’obsession et sans aucun bienfait. Et alors ? Je me suis déjà rejoué cent fois dans ma tête une rupture amoureuse (j’aurais dû dire ça ou ça), j’ai souvent été obsédée par une personne que je jalousais, ou par des angoisses de folie. Etait-ce de la rumination ? Oui. De mauvaises pensées ? Non, j’ai même appris à les aimer, à les chérir, à en faire des compagnes, des extensions de mon esprit, qui, quand elles ont disparu, m’ont même manqué.
Sons diffusés :
- Christophe André, France Culture, La Vie intérieure, « Les ruminations », 3 août 2017
- Vidéo Youtube de Joanne Tatham, « Une astuce simple pour cesser de ruminer à l'avance », 4 août 2016
- Vidéo Youtube de Benjamin Lubszynski, « Hypnose pour arrêter de trop penser (stop aux pensées négatives et aux ruminations ! ) », 10 novembre 2016
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