Quel est le rapport entre Giacometti, la colonisation, l’absolu et André Gorz ? Tout simplement Jean-Paul Sartre qui a abordé tous ces sujets dans ses dix livres intitulés "Situations", publiés entre 1947 et 1976, rassemblés autour d'une idée commune : le concept de situation. Que signifie-t-il ?
Les éditions Gallimard collection Blanche proposent une nouvelle édition revue et augmentée par Arlette Elkaïm-Sartre des Situations de Jean-Paul Sartre.
Chaque Situations se présente comme un recueil d’articles écrits par le philosophe et rassemblés par période.
Depuis 2010, Arlette Elkaïm-Sartre a entrepris de rééditer ces recueils dont le cinquième est paru en décembre dernier.
À la fois épars dans le temps et dans les sujets, tous ces textes ont pourtant une idée commune, celle, comme le titre l’indique, de « situation », concept incontournable chez Sartre. Que faut-il entendre par là ? Comment Sartre définissait-il ce terme, et par là-même ces textes, leur portée, et du coup, la voix du philosophe dans l’espace public ?
Le double sens de l’engagement
Ils sont beaucoup, artistes ou intellectuels, comme Serge Reggiani, à avoir été influencés par Sartre et son idée d’engagement.
« Engagé » signifie alors : être engagé dans un contexte, historique, social, politique et économique, mais aussi s’y engager dans un certain sens, c’est-à-dire y prendre position, s’y situer. D’où ce lien assez évident entre engagement et situation.
Dans le Vocabulaire de Sartre, l’engagement se définit en effet comme « l’attitude de l’individu qui prend conscience de sa responsabilité totale face à sa situation et décide d’agir pour la modifier ou la dénoncer ».
Quand Sartre écrit sur son époque, à travers ces articles, conférences et critiques, entre autres, il n’écrit donc pas seulement sur une situation à laquelle il assiste, dont il serait seulement spectateur, il prétend d’emblée s’y engager.
Mais pourquoi ? En quoi appartenir à une époque et s’en faire le spectateur, qu’il s’agisse de peinture ou de guerre, présuppose-t-il forcément de prendre position ? Peut-on être engagé de fait dans une situation sans prendre un engagement ?
Dévoiler le monde de son point de vue, mais à qui ?
Les Situations de Sartre se penchent sur trois types d’objet. Pour le résumer vraiment très grossièrement :
- Il y a les textes sur l’art, des artistes aux genres (on trouve par exemple des réflexions sur Faulkner, Cartier-Bresson ou les mobiles de Calder)
- Les textes sur la politique (réactions à un événement ou considérations globale d’un mouvement, de l’Occupation en France à la guerre d’Algérie)
- Et enfin des impressions sur les mœurs étrangères (New-York, par exemple dans Situations II, où Sartre y décrit autant le conformisme que les bars de New-York).
En cela, Sartre explore bien le concept de situation, et ce lien entre idées et idéologie, à travers ces textes : parce qu’il est engagé de fait dans une situation, mais aussi parce qu’il s’y engage, il dévoile le monde du point de vue de sa propre conscience.
Mais à qui le dit-il ? Et par qui peut-il être entendu ? Cette thèse, d’écriture engagée en situations, n’enferme-t-il pas la parole de Sartre et de tout auteur dans son époque ? Si elle oblige à la prise de position, peut-elle parler à tous ?
Doit-on forcément s’engager et prendre ses responsabilités ?
Peut-on dissocier être engagé (malgré soi) et s’engager (de soi-même), contexte et situation ? Pour Sartre, non. Et la réponse se trouve justement dans une des Situations les plus connues : Situations III : « qu’est-ce que la littérature ? ».
Dans ce troisième volume, il soulève trois questions : qu’est-ce qu’écrire ? Pourquoi écrire ? Pour qui écrit-on ?, et y répond avec l’idée de communication d’un message d’un auteur à ses lecteurs.
Ce qui se passe à travers l’écriture, c’est en effet, je cite, que : « l'écrivain a choisi de dévoiler le monde et singulièrement l'homme aux autres hommes, pour que ceux-ci prennent en face de l'objet ainsi mis à nu, leur entière responsabilité »…
La situation comme lieu d’engagement, d’écriture, de communication et de responsabilité, tout cela tend ainsi à faire du philosophe un porte-parole, et même à l’y condamner.
Reste alors cette question : peut-on écrire ailleurs qu’en situation ? Comment assumer cet engagement de ne pas se situer ?
Sons diffusés :
- Archive de Serge Reggiani sur les Situations de Sartre (ORTF, Bibliothèque de poche, novembre 1969)
- Archive de Jean-Paul Sartre sur son parcours de l’existentialisme au marxisme (France Inter, Radioscopie, 1973)
- Archive de Jean-Paul Sartre sur l’écriture (TF1, avril 1980)
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