Trop de Proust tue Proust ?

L’Écrivain français Marcel Proust (1871-1922), début du 20ème siècle.
L’Écrivain français Marcel Proust (1871-1922), début du 20ème siècle.  ©AFP - Leemage
L’Écrivain français Marcel Proust (1871-1922), début du 20ème siècle. ©AFP - Leemage
L’Écrivain français Marcel Proust (1871-1922), début du 20ème siècle. ©AFP - Leemage
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Comment aimer "À la recherche du temps perdu" quand tout le monde nous dit d’aimer Proust ?

Grâce à Nathalie Quintane et son livre Ultra-Proust, sous-titre : une lecture de Proust, Baudelaire, Nerval, paru aux éditions La fabrique. J'hésite à dire que ce « petit livre » est « passionnant », puisque tout le propos part de là : notre manie à rendre populaires des chefs-d’œuvre de la littérature, à les rendre « passionnants » ou « charmants », comme on l'aurait dit Sainte-Beuve en son temps de Baudelaire et Nerval. Mais comment parler des livres que nous avons aimés, aimés comme tout le monde les a aimés, sans les aimer pour autant comme tout le monde ?

Faut-il imposer un O.O.P. (un Oubli Obligatoire de Proust)

Autant mettre les pieds dans le plat... vous avez droit à la madeleine, mais ça aurait pu être : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure », la haie d'aubépines, les pavés « mal équarris » à Guermantes... Tant de moments de La Recherche lus, analysés, décortiqués, adorés... Que celui qui s'est mis à lire Proust, sans se dire, convaincu, « je vais lire un chef-d’œuvre », se manifeste. 

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C'est tout le problème soulevé par Nathalie Quintane : à force de nous offrir Proust sur un plateau, on nous en prive... au point de plaider pour un O.O.P., un Oubli Obligatoire de Proust…

Comment donc l'aimer à sa manière ? Comment le lire sans tomber dans l'écueil qu'il dénonçait lui-même dans son Contre Sainte-Beuve : avec une adoration collective qui fait qu'on lit du Proust, qui fait que l'on s'intéresse à sa vie comme à ces mondains qu'il tournait en dérision, qui fait qu'on l'aime comme on aime quelqu'un de bien, qui fait, autrement dit, qu'on ne dissocie plus l'œuvre de l'homme ?

On pourrait d'ailleurs se poser la question pour toute œuvre, et pas seulement littéraire : comment les aimer pour elles-mêmes ? Mais d'ailleurs, est-ce possible ? 

La pression à lire Proust et Baudelaire 

Encore lui… pas Proust, mais André Dussollier qui lit, cette fois-ci, Le mauvais vitrier de Baudelaire. Dans Contre Sainte-Beuve (repris partiellement à la fin du livre de Nathalie Quintane), Proust expose la méthode du fameux critique littéraire puis s'attache à Gérard de Nerval et donc Charles Baudelaire…

Provocant, irrévérencieux, mécontemporain, on s'arrache les cheveux à allier chez Baudelaire sa politique anti-moderne avec sa modernité poétique. On veut faire tenir dans la troisième partie de sa dissertation ou dans une conversation élevée un « bon bilan », jugement pondéré, éclairé et pertinent sur les paradoxes du poète. Mais après tout, pourquoi ? Pourquoi vouloir tout faire tenir ensemble ? Pourquoi vouloir bien parler d'un auteur et de son œuvre ? Ne pas faire d'erreurs, ne pas dire de bêtises ? 

Comment lire un auteur à sa manière ? 

Pourquoi lire Proust, comment aimer Proust ? Pourquoi et comment célébrer la modernité anti-moderne de Baudelaire ? Comment lire une poésie de Nerval sans proférer (ici, ce n'est pas André Dussollier, mais Michel Bouquet) ? Au fond, ce sont les mêmes questions : la pression à lire conformément des auteurs. Mais, comme je le demandais : est-il possible d'aimer, et avant cela, de lire un auteur à sa manière ?

C'est bien le propos de Nathalie Quintane qui, entre l'adoration collective d'un auteur et l'enfermement dans son texte, plaide pour une lecture politique, qui dérange et repère ce que dérange un texte dans nos habitudes... Mais, je pose la question, une telle lecture, libérée de tout ce qui s'est dit, affranchie du conformisme, de l'habitude, est-elle possible ? Qu'est-ce qui va m'assurer qu'on ne me sautera pas dessus si je dis soit que j'en ai marre de Proust, soit que je n'arrive pas à repérer ce qui dérange dans la Recherche... ? Les livres eux-mêmes peuvent-ils m'y aider ? 

Grande traversée Été 1913 (archives)
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