Le week-end dernier, dans l’émission "On n’est pas couché" sur France 2, alors que la chanteuse Zaz était reçue pour la sortie de son dernier album par Laurent Ruquier et ses chroniqueurs Christine Angot et Charles Consigny, un débat s’est engagé sur tutoiement et vouvoiement.
D’où vient le vouvoiement (ou le voussoiement) ?
« La distance, c’est la civilisation » dit Charles Consigny, voilà qui donne matière à réfléchir !
Mais venons-en tout de même à ce qui nous occupe, à ce débat, tout sauf anodin, entre partisans du tutoiement et partisans du vouvoiement. D’ailleurs, avant toute chose, faut-il dire vouvoiement ou voussoiement ?
Dans un billet, intitulé « Éloge du vouvoiement », datant de 2013, publié sur le site de l’Académie française, l’écrivain, critique et académicien Frédéric Vitoux considère que les deux se valent. Bien que le terme « voussoiement » soit plus ancien, le terme « vouvoiement » paraît plus euphonique et compréhensible et il est, par ailleurs, lui aussi, d’un usage très ancien. Frédéric Vitoux en profite également pour rappeler que l’invention du vouvoiement est souvent attribuée à l’époque du règne de l’empereur romain Dioclétien qui divisa l’Empire romain entre Orient et Occident, mettant à la tête de chaque un Auguste assisté lui-même d’un César. Ainsi, quand l’un des souverains prenait la parole, il ne le faisait pas qu’en son nom propre, mais aussi au nom des trois autres. Il disait donc « nous » et on lui répondait « vous ». Le médiéviste Philippe Wolff, lui, considère, que le vouvoiement est antérieur, puisqu’il est déjà présent, même si ça n’est que de manière épisodique, dans des lettres de Pline Le Jeune, au I er siècle de notre ère, avant de devenir, de manière systématique cette fois, une politesse obligée à l’époque carolingienne.
Le vouvoiement, une histoire en dents de scie
Bref ! Le vouvoiement a fini par s’imposer dans la langue française comme dans la majorité des langues indo-européennes, à l’exception de l’Anglais moderne qui ne le connaît plus et quelques langues nordiques où il est tombé en désuétude. Le vouvoiement devient même rapidement l’une des manifestations les plus audibles de la politesse qui marque le respect, la fameuse distance dont parle Charles Consigny, la séparation hiérarchique, la séparation générationnelle, la séparation aussi entre ceux que l’on connaît et ceux que l’on rencontre tout juste.
Pourtant l’histoire du vouvoiement, au moins en France, n’a rien de linéaire, bien au contraire ! Dans son ouvrage Dictionnaire nostalgique de la politesse, dont je vous recommande vivement la lecture, Frédéric Rouvillois raconte le rejet, au moment de la Révolution française, des « bonnes manières » imposée par l’Ancien Régime. Le tutoiement devient obligatoire, le vouvoiement interdit. Ceux qui ne respectent pas cette règle apparaissent, dès 1791 et surtout 1792, comme suspects et peuvent être poursuivis, emprisonnés et, pourquoi pas, guillotinés. Du coup, la prudence est de rigueur.
Il faudra attendre Napoléon Bonaparte pour que le vouvoiement soit restauré avec le passage d’une politesse aristocratique décontractée à une politesse bourgeoise beaucoup plus rigide. Mais le vouvoiement a connu d’autres crises. Il a, par exemple, fortement reculé, comme le rappelle Frédéric Vitoux, consécutivement à l’esprit de Mai 68, je le cite, « quand on s’est efforcé de bannir toute hiérarchie, toute barrière entre les individus, leurs âges, leurs fonctions, entre les élèves et les professeurs. » Roland Barthes ne dit pas autre chose, lorsqu’il écrit dans Le Bruissement de la langue : « Il arrive parfois, ruine de Mai, qu’un étudiant tutoie un professeur. C’est là un signe fort, un signe plein, qui renvoie au plus psychologique des signifiés : la volonté de contestation ou de copinage. »
Nostalgie de la politesse
Frédéric Rouvillois l’analyse et l’explique. Dans notre histoire, la politesse connaît des hauts et des bas. Il souligne d’ailleurs qu’après les années 60-70, période de forte contestation où les bonnes manières étaient perçues comme archaïques et ringardes, nous vivons aujourd’hui dans une période plus propice à la politesse. Pour le juriste, il y a un rapport certain entre la crise économique et sociale, la montée du chômage, le sentiment que la vie est de plus en plus difficile et la prise de conscience de l’utilité de la politesse. C’est ce qu’il confiait, il y a deux ans, dans un entretien au FigaroVox. Je le cite : « Quand tout va bien, la politesse est juste la cerise sur le gâteau. Quand les choses deviennent plus difficiles, elle reprend toute sa force et son utilité s'impose. Les gestes quotidiens de la politesse deviennent le liant de ce fameux vivre ensemble. » La messe est dite !
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