

« Une journée dans une vie, une vie dans une journée » paru sous la direction d’Adeline Herrou rassemble dix-sept contributions d’ethnologues relatant à chaque fois une journée entière, du lever au coucher, de personnes qui ont choisi de renoncer au monde en devenant moines ou ascètes...
Une journée dans une vie, une vie dans une journée, Des ascètes et des moines aujourd'hui, sous la direction d’Adeline Herrou, est paru aux éditions Puf.
Mystique et quotidienneté
L’idée est simple : une journée constitue un condensé de vie. D’où le titre : Une journée dans une vie, une vie dans une journée. Entrer dans l’intimité de quelqu’un, c’est accéder à sa quotidienneté. Et il n’y a pas de quotidienneté plus mystérieuse que celle qui se vit, par choix, à l’abri de tous les regards. Les auteurs se sont donc prêtés à ce format quelque peu expérimental de « journées-portraits », livrant des détails précieux sur les pratiques bouddhistes, taoïstes, chrétiennes, mais aussi yogistes et jaïnistes.
En parcourant tous ces témoignages, une première chose saute aux yeux. La vie d’ascète ou de moine n’est pas qu’une vie de tempérance et de quiétude. Au fil des pages, on se dit qu’il faut une forme de folie, d’ubris, de démesure pour choisir une telle vie. Dans ces vies, tout est question d’inversion. Francesca Sbardella raconte comment chez les carmélites, le vœu de silence est interrompu lors de deux petites récréations quotidiennes où toutes les sœurs se passent tour à tour la parole : « Ce sont des pauses de parole à l’intérieur du long silence quotidien ». Marie-Claude Mahias, elle, décrit les ascètes jains digambar, « vêtus d’espace », c’est-à-dire totalement nus : « La nudité symbolise l’abandon de toute possession, le contrôle des passions liées au désir de posséder ou à la peur de perdre, le dépassement de tout sentiment de honte ou d’orgueil et l’exercice le plus avancé de la non-nuisance ». Raphaël Voix, qui a suivi pendant une journée un ascète baul, chanteur mystique du Bengale, s’étonne lorsque celui-ci lui confesse qu’il ne s’est pas lavé depuis douze ans.
La vie de moine, une vie comme les autres ?
En lisant ces témoignages, on découvre également que les moines et les ascètes sont des personnes comme les autres avec leurs faiblesses et leurs incomplétudes. Qu’ils soient ermites ou qu’ils vivent en communauté, ils ont chacun leur caractère, peuvent se moquer, rire, parfois même être blessants ou se sentir blessés. C’est le cas de Rafqa, religieuse maronite au Liban, qui appelle une carmélite « fausse sœur » avant de confesser qu’elle reste insensible aux remarques parfois désagréables de certains prêtres. C’est le cas aussi de deux novices bouddhistes sud-coréennes qui se disputent discrètement pour une histoire de nourriture à la cantine. Dans un temple bouddhiste chinois Shaolin, le supérieur a même fait installer une pointeuse pour lutter contre l’absentéisme à certains rituels du matin. Le monde n’est jamais loin comme le prouve les sœurs du monastère de Sainte-Thècle qui trouvent le temps de suivre leur série télévisée préférée.
Un monde d’avant le désenchantement
Peu à peu, pourtant, on découvre des personnes ayant fait un choix radical qui paraît fou face au tumulte du monde. Les privations, les sacrifices, les souffrances, les prières se succèdent. On exorcise les malades, on guette les apparitions de la Vierge, on jeûne pour apprendre l’humilité. Discipline et rigueur sont les maîtres mots. Toute la vie est tournée vers la recherche de la sagesse et de la vertu.
En racontant une journée dans la vie de ces ascètes et de ces moines, les chercheurs donnent accès à des lieux qui semblent avoir échappé au temps. On en ressort avec l’impression qu’il y a des espaces immuables dans ce monde. En lisant ces témoignages, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Max Weber qui déplore le désenchantement du monde entraîné par l’avènement de la modernité. Pourtant, tous ces témoignages convergent : il n’y a pas de fatalité, le mystère a encore de beaux jours devant lui. C’est ce grand voyage sur les chemins de l’éternité que propose Adeline Herrou.
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