Yann Moix, et moi, et moi, et moi

Yann Moix, 2017
Yann Moix, 2017 ©Getty - Eric Fougere/Corbis
Yann Moix, 2017 ©Getty - Eric Fougere/Corbis
Yann Moix, 2017 ©Getty - Eric Fougere/Corbis
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Yann Moix avec son roman autobiographique "Orléans" est la polémique de cette rentrée littéraire. Humiliation, affrontement et chute d’un salaud, quels sont les tenants de toute polémique ?

Intellectualiser un potin

Qui a pu passer à côté de cette polémique qui agite cette rentrée littéraire ? Vous voyez de quoi je parle, de Yann Moix bien sûr, et de son texte paru il y a une semaine : Orléans, dans lequel il raconte son enfance maltraitée.
Roman autobiographique, comme le précise son éditeur Grasset, ce récit, en quelques jours, a provoqué de multiples réactions, de la part des premiers concernés : sa famille, mais a aussi vu tout un ensemble de problématiques surgir, telles que : la fiction donne-t-elle le droit de réécrire la réalité ? Pourquoi ne pas laver son linge sale en famille ? Ou encore : qui pour sauver Yann Moix ? 

J’avoue être ambivalente devant ce genre de polémique : je suis tout à la fois avide de ses rebondissements et dégoûtée qu’on en fasse un sujet. J’ai envie de tout savoir de l’histoire tout en disant que ça n’en vaut pas le coup. Je retrouve le plaisir coupable de la téléréalité ou de la lecture de Voici, mais en plus fort, en plus engagé, en plus dramatique. 

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Car cette affaire n’a rien de comparable avec la séparation d’un couple de stars : non, on la prend au sérieux, on se scandalise, on prend parti, on l’élève, on la problématise, tout en restant dans la banalité des histoires familiales et des questionnements intellectuels. Et je fais de même.
Tout à coup, et peut-être pour donner une contenance à ma soif de potins, je pense au problème des rapports entre fiction et réalité, à celui de la frontière entre privé et public, puis à celui de la légitimité d’un auteur, ou de la moralité d’un grand frère. Sans parler de la question du mal : Yann Moix était un salaud de chroniqueur, un ex-prédateur, il est désormais un menteur, un bourreau, une victime déguisée doublé d’un antisémite. 

Faire tomber les idoles 

Mais qui s’en fiche de Yann Moix ? Pourquoi en parler ? Et pourquoi j’en parle tout en disant qu’on s’en fiche ? Pourquoi certains sujets deviennent-ils ainsi des polémiques auxquelles on se sent convié ? Qu’est-ce qui nous fascine avec l’histoire de Yann Moix et ses rebondissements contre lui ? 

C’est vrai qu’à l’écouter, on retrouve la fascination assez courante pour l’humiliation, le sordide, le malsain ; on retrouve aussi celle, tout aussi courante, de pénétrer dans l’intimité de personnalités publiques ; et du coup, celle par la suite de découvrir les failles d’une personne qui agaçait avec sa toute-puissance, une sorte de plaisir de vengeance sans qu’on soit pour autant impliqué et coupable. 

A l’inverse du fait divers qui part d’un fait ordinaire pour lui donner la forme du récit extraordinaire (je pense ici à Roland Barthes et Michel Foucault qui ont analysé les structures du fait divers), la polémique ramène l’événement, l’exception, la personnalité publique et a priori remarquable à la triste banalité, au quotidien, et la met à égalité avec ceux à qui il se montre et qu’il surplombait jusqu’ici.
Yann Moix est devenu comme nous, et même pire. A nous de le juger, à nous, à moi de décider s’il vaut la peine d’être lu et d’être élevé au rang d’auteur ou même de mec bien.
Dans sa lettre ouverte à son frère, Alexandre Moix rappelait ainsi ce mot que Yann lui disait : « Il n’y aura qu’un Moix, c’est moi ! ».
C’est tout l’enjeu d’une polémique et sa caractéristique première : et moi ? Qui aura le dernier mot ? Qu’il s’agisse des personnes concernées (Yann Moix, son frère, son père) ou de ceux qui suivent, assistent, interrogent, se scandalisent de cette affaire, la question est là : qui aura raison ? Qui aura la meilleure analyse ou prendra le meilleur parti ? Qui s’en sortira le mieux ?
Au fond, la polémique est moins un débat élevé qu’une simple affaire d’ego. 

Sons diffusés :

  • « Yann Moix, sa famille se déchire », BFM TV, 26/08/2019
  • Sept à huit, TF1, 18/08/2019
  • Chanson de Jacques Dutronc, Et moi, et moi, et moi