

Un vaste programme de recherche pluridisciplinaire a été mis en place au lendemain des attentats du 13 novembre 2015 pour évaluer leur impact sur la mémoire individuelle et collective.
Et l’on apprend qu’un projet de musée mémorial dans le Palais de justice de l’île de la Cité, « comme acte de résilience de la nation », est à l’étude. L’historienne Isabelle Backouche, dont le fils a été blessé le 13 novembre 2015, estime dans Le Monde que l’Etat devrait assurer une meilleure prise en charge des victimes avant de penser à la question mémorielle. « Comment mettre en musée la mémoire d’événements aussi récents » demande-t-elle, tout en exprimant sa perplexité face à l’ambition affichée d’impliquer « les victimes et leurs proches, les témoins et secouristes, les chercheurs et les journalistes » dans « l’élaboration du sens de ces attentats ». Selon elle, « Il est prématuré de vouloir élaborer et clore une histoire des attentats. Il faut laisser la justice opérer, les témoignages se sédimenter, les travaux scientifiques se mener, avant de créer un établissement susceptible d’encadrer ce travail et d’en exposer les fruits. »
Le programme 13-Novembre
Dans Les Echos.fr, Yann Verdo revient sur le programme 13-Novembre, mis en place sous l’égide du CNRS et de l'Inserm. Destiné à s’échelonner sur une dizaine d'années, il « regroupe un ensemble de sept études coordonnées, visant toutes à explorer l'impact d'un événement aussi traumatisant non seulement sur la mémoire individuelle des individus qui l'ont vécu de près ou de loin, mais aussi sur la mémoire collective de la société ». Pour l’un des deux responsables du projet, l’historien des questions mémorielles Denis Peschanski, du CNRS, « mémoire individuelle et mémoire collective ne peuvent s'étudier qu'ensemble, l'une par rapport à l'autre, car elles sont étroitement articulées ». L'objectif de cette étude sociopsychologique est également de suivre l’évolution du discours sur les attentats au fil des ans (par l'analyse statistique du vocabulaire employé), « mais aussi de répondre à diverses questions d'ordre sociologique : pour celles et ceux qui ont été victimes des attentats, quel impact cet événement traumatisant a-t-il eu sur leur couple, sur leur vie professionnelle ? » Une proportion élevée de victimes a par exemple « complètement changé d'orientation professionnelle. Comme s'il leur était devenu impossible de continuer à faire le même métier », observe Denis Peschanski. Sociologue de la famille, Laura Nattiez a participé à ce programme de recherche dès son lancement en 2016.
Il semblerait que les couples qui ont déjà vécu une épreuve socio-existentielle (deuil, maladie, chômage) s’en sortent un peu mieux que les autres. Ces couples ont développé une compétence conjugale pour faire face. ( Laura Nattiez, sur le site de La Croix)
La place des enfants est ambivalente. Pour beaucoup ils ont représenté « une image d’avenir », ou tout simplement des tâches à accomplir, « qui raccrochent à la vie ». « Mais parfois, certains n’ont pas réussi à s’en occuper ce qui a pu être dur à vivre, pour le parent comme pour son ou sa conjoint(e) ».
L'impact sur la mémoire
Le site d’information Les Jours a entrepris une enquête au long cours sur les différents volets du programme 13-Novembre : « Le souffle des attentats ». Le deuxième épisode porte sur l’un de ses aspects essentiels : l’Étude 1000. En suivant 1 000 volontaires pendant dix ans, les chercheurs veulent comprendre comment ils se souviennent du 13 Novembre. Charlotte Rotman détaille le protocole : les témoins – directs ou indirects – se sont engagés à s’exprimer à quatre reprises sur dix ans.
Filmés, guidés par un enquêteur, ils racontent leur soirée du 13 Novembre, et l’après : comment son souvenir s’immisce et trouble (ou pas) la vie de tous les jours, le travail, les habitudes, le sommeil, les rêves. Ils sont aussi invités à proposer des explications au terrorisme, la leur en tout cas ; un exercice vertigineux. Les vidéos sont archivées et deviennent une matière exceptionnelle à la disposition des chercheurs.
À partir des mêmes questions, « la comparaison entre les récits effectués à deux ans d’écart permet d’évaluer le traumatisme, mais aussi la résilience à l’œuvre ». Dans le cadre du programme, le sociologue Gérôme Truc étudie les messages commémoratifs du 13 Novembre pour cerner ce que les attentats provoquent en nous. C’est le troisième épisode de l’enquête : Saisir la sidération. « Les jeunes semblent avoir une mémoire spécifique des événements du 13 Novembre – résume Charlotte Rotman. Ceux qui ont la vingtaine sont ceux qui ont peur (davantage que les plus âgés, d’ordinaire plus enclins à exprimer ce sentiment), car « ce sont eux qui se sont sentis visés, leur mémoire du 13 Novembre est liée à un phénomène générationnel ». Parmi les messages laissés sur les lieux des attentats, il y a ceux qui disent « je », notamment ceux qui font part d’une expérience similaire. Une étude espagnole a montré « que les étudiants et familles qui ont participé aux manifestations après les attentats avaient plus tendance à avoir une perception positive de leur environnement social (confiance en autrui, espoir en l’avenir, sentiment d’être solidaires) que les autres ». Un indice de la capacité de résilience due à l’empathie ?
Par Jacques Munier
Mardi 13 novembre, à 14 h 30, Les Jours partent en live pour la sixième fois, en direct de la rédaction à Paris.
"Pour ce live vidéo des Jours spéciale « 13 Novembre », Florent Peiffer, de YouBLive, et Charlotte Rotman des Jours reçoivent ces chercheurs qui tentent de mesurer l’incommensurable : le souffle de la terreur. Avec eux, en direct du quartier du Bataclan : l’historien Denis Peschanski, coordinateur d’un gigantesque projet autour de la mémoire des attentats, et le sociologue Gérôme Truc, qui travaille sur les réactions aux attentats. Vous découvrirez également la démarche de la sociologue Sarah Gensburger, qui a décidé d’étudier les effets des attentats sur son propre quartier, celui du Bataclan. Rendez-vous ce mardi 13 novembre à 14 h 30 ici même, sur notre chaîne YouTube ou sur notre page Facebook. Préparez vos questions, affûtez vos commentaires, toujours sur YouTube et Facebook, mais aussi sur notre compte Twitter."
A lire
Sur le site La vie des idées : Se saisir des attentats, par Nicolas Duvoux & Gérôme Truc , le 16 mai 2017
Violaine-Patricia Galbert : Vivre avec une victime d'attentat Le traumatisme des proches (Odile Jacob)
Votre proche a été touché par un attentat : il est vivant, mais dans quel état ? Sans que vous vous en rendiez compte, l’attentat vous a également blessé psychiquement. Cette blessure invisible vous affaiblit de jour en jour. Comment comprendre ce qui vous arrive ? Est-il normal de souffrir d’un attentat que l’on n’a pas vécu soi-même ? Comment aider la victime et vivre avec elle, sans pour autant y laisser votre santé psychique ? Ce livre unique, conçu comme un guide à l’usage des proches de victimes d’attentat, répond à toutes ces questions. Il explique précisément ce que vous pouvez faire pour soutenir la victime dans les premières heures, dans les premiers jours puis à plus long terme, sans négliger pour autant ce que vous vivez en tant que proche. Avec ce livre écrit par une spécialiste de l’intervention d’urgence, vous bénéficierez de conseils et de solutions concrètes qui vous permettront d’agir de manière adéquate quand tout s’effondre autour de vous. Présentation de l'éditeur
Violaine-Patricia Galbert est une spécialiste de la famille et de la prise en charge des troubles de stress post-traumatique. Elle a fondé et présidé l’Association des victimes et rescapés du Tsunami 2004. Nommée lieutenant-colonel de la réserve opérationnelle, elle a été le conseiller du chef d’état-major de l’armée de terre et a formé le personnel des cellules de crise régimentaires au soutien psychologique à apporter aux militaires et à leurs familles en cas d’événements graves. Elle est intervenue auprès des victimes et de leurs proches lors des attentats de Paris en 2015, de Nice en 2016 et de Londres en 2017. Installée à Londres, elle a créé en 2018 une cellule de soutien psychologique d’urgence (CSPU) pour venir en aide aux Français victimes d’attentats au Royaume-Uni.
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