

Alors que l’Algérie fête les 57 ans de son indépendance, des milliers d’étudiants, rejoints par le personnel médical, ont de nouveau défilé hier dans la capitale.
C’est la preuve que les annonces du pouvoir sont restées sans effet : le report de l’élection et donc la prolongation sine die du mandat présidentiel, des « changements importants au sein du gouvernement » et la création d’une « conférence inclusive et indépendante » chargée de « l’élaboration et l’adoption de tous types de réformes devant constituer le socle du nouveau système ».
La démocratie algérienne
Dans Le Monde, le juriste Rostane Mehdi estime que « rien dans la Constitution actuelle n’autorise ni le report de l’élection présidentielle ni la prolongation du mandat ». Et il indique les deux voies envisageables : « le retrait du titulaire de la fonction à l’issue prochaine de son mandat », soit le 28 avril. Ou, à défaut, la réunion du Conseil constitutionnel afin de proposer « conformément à l’article 102 de la Constitution, aux deux chambres (l’Assemblée populaire nationale et le Conseil de la nation) de déclarer l’état d’empêchement du chef de l’Etat ». Et après ? Le système semble à ce point verrouillé que tout est à réinventer. « De la Cour des comptes au Conseil national économique et social – instances neutralisées sous le règne de Bouteflika, dévitalisées et mises au pas – en passant par la guerre ouverte contre les syndicats autonomes, les associations et la presse indépendante, le régime n’a eu de cesse de mater les voix discordantes » résume Adlène Meddi dans l’hebdomadaire_Le 1_. L’ancien rédacteur en chef d’El-Watan évoque la conception de la démocratie mise en œuvre par l’atrabilaire et désormais grabataire président : elle se réduit à « son volet électoral :
La démocratie n’est pas un système de valeurs en soi, mais un mécanisme qui permet de distribuer – loin des véritables sphères du pouvoir – une rente aux différents courants politiques en termes de postes de responsabilité de second niveau ou de quotas dans les assemblées élues.
Avec l’allégeance comme seul mode de gouvernance, et pour prébende les marchés publics, une oligarchie d’entrepreneurs s’est infiltrée dans la brèche et a fini par constituer « un État dans l’État », avec le pouvoir « de nommer des ministres et de dicter des décrets ». D’où le commentaire de Mohamed Kacimi : « Bouteflika incarne un régime insensible à toute critique ». L’écrivain souligne que « quinze millions d’Algériens sont dans les rues, dont le plus vieux n’a pas 25 ans, et le régime ressort des placards Lakhdar Brahimi, 85 ans, pour diriger la conférence nationale de transition ! » Un diplomate qui s’est notamment illustré comme médiateur de l’ONU en Syrie, et qui, aux dernières nouvelles, aurait déclaré forfait. Et Mohamed Kacimi de dénoncer le visage actuel de la corruption : les entreprises chinoises « qui bâtissent la grande mosquée d’Alger, une mosquée à trois milliards de dollars dans un pays où pas une seule salle de cinéma, pas une seule galerie d’art n’a été construite depuis le départ des Français… » Selon lui, la clé de la situation c’est l’armée, à laquelle le pays alloue le quart de son budget. Et de fait, l’un des paradoxes de la fin de règne du président qui se méfiait des généraux c’est la montée en puissance du premier d’entre eux, le chef d’état-major, Gaïd Salah, devenu le visage et la voix du pouvoir. « Il a remplacé Bouteflika dans la fonction de principal animateur du journal télévisé et s’est imposé médiatiquement. Bien plus que les autres personnalités du système », souligne Akram Kharief, journaliste algérien spécialisé dans les questions de défense. Dans une déclaration récente et très commentée, le général a affirmé : « L’armée et le peuple partagent la même vision de l’avenir ».
Une révolution politique et laïque
Restent les islamistes, en partie compromis avec le régime. Sur le site L’expression la philosophe et islamologue Razika Adnani insiste sur le caractère laïc de la contestation actuelle. Face aux avertissements du pouvoir qui évoque la Syrie, « Les Algériens ne veulent pas de violence et veillent à ce que leur révolution soit un succès pour la démocratie et non une opportunité donnée aux islamistes. » Elle rappelle que la violence des années de guerre civile « qui a endeuillé l'Algérie ainsi que beaucoup d'autres pays est liée à l'islamisme » ce que les Algériens n'oublieront pas, c’est pourquoi ils « ont décidé de faire une révolution politique séparée de la religion. » D’autant que la démocratie est la meilleure protection contre les dérives de l’islamisme. Dans un ouvrage collectif publié sous le titre Islam et politique, qui étudie les différentes versions de l’islamisme dans les pays arabes, Pierre Puchot évoque l’Egypte actuelle et ses 70 000 prisonniers politiques. « Avec la réinstallation des gouvernements dictatoriaux – écrit-il – véritable terreau propice à l’essor de l’islamisme, les pourfendeurs de l’islam politique ont ainsi obtenu le résultat inverse de celui qu’ils escomptaient. »
Par Jacques Munier
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