Après une pause de près d’un an, due au Covid, les Algériens ont repris la contestation en manifestant ce lundi dans les grandes villes du pays. À l’approche de cette marche anniversaire du Hirak, le président avait annoncé la libération de plusieurs détenus politiques.
Et notamment le journaliste Khaled Drareni, arrêté le 7 mars 2020 alors qu’il couvrait une manifestation, et condamné à deux ans de prison ferme pour « incitation à un attroupement non armé » et « atteinte à l’unité nationale ». Aujourd’hui, la Cour suprême doit examiner son pourvoi en cassation. « Pensez à sauvegarder vos principes » lançait-il à ses soutiens en conclusion d’une lettre publiée le 30 décembre dernier sur le site de Casbah Tribune. « La grâce présidentielle, arbitraire, ne remplace pas une justice indépendante » ont dénoncé les contestataires. « Nous ne sommes pas venus pour l’anniversaire mais pour vous faire partir » criait la foule à Alger. Outre ce geste en signe d’apaisement, le pouvoir a procédé à un remaniement du gouvernement, à la marge. Dans Libération.fr, Célian Macé souligne que « le régime, soigneusement encadré par l’armée, s’est finalement montré incapable de se réformer de l’intérieur. Le scénario, un temps envisagé, d’une transition en douceur recyclant des cadres de l’administration, s’est effondré. » Le président Tebboune a dissous dimanche l’Assemblée nationale, ouvrant comme prévu la voie à des législatives anticipées dans les six mois. Mais mardi encore, des étudiants se sont rassemblés dans la capitale algérienne, malgré l’interdiction de manifester et une imposante présence policière.
Menaces sur la Constitution
Une autre menace pèse sur la société algérienne, selon l’islamologue et philosophe Razika Adnani : « La mainmise des islamistes sur la Constitution ». Dans une tribune publiée sur son site, elle constate que « l’évolution de la Constitution algérienne à travers les différentes révisions révèle un renoncement, graduel mais systématique, aux droits de l’Homme, notamment la liberté de conscience et d’opinion ».
Les ennuis avec la justice algérienne de beaucoup d’hommes et de femmes, dont le dernier est Saïd Djabelkhir, se répètent et s’amplifient. Le délit est toujours le même : atteinte à l’islam conformément à l’article 144 bis du code pénal, ajouté en 2001.
L’islamologue et chercheur Saïd Djabelkhir doit en effet se présenter aujourd’hui devant la justice, suite à une plainte déposée par un collectif de citoyens chapeauté par le professeur à l’université de Sidi Bel Abbès, Abderezzak Bouidjra. D’après le site du quotidien El Watan, qui dénonce là une tentative de criminaliser le débat sur l’islam, il est poursuivi pour « atteintes aux préceptes de l’islam », « atteinte et moquerie aux hadiths authentiques de la sunna, au pilier du pèlerinage et au sacrifice de l’Aïd ». L’islamologue s’était notamment employé à appliquer la critique historique au pèlerinage de La Mecque ou au sacrifice du mouton de l’Aïd, montrant que ces rites préexistaient à l’avènement de l’islam, comme il arrive souvent dans l’histoire des religions qui perpétuent d’anciennes pratiques pour en capter les énergies collectives. Mais ça n’est pas du goût des fondamentalistes pour lesquels le temps de la révélation est un commencement absolu, figé pour l’éternité.
Les concessions aux islamistes
Razika Adnani est membre du Conseil d’orientation de la Fondation de l’islam de France (présidée par notre confrère de Questions d'islam sur France Culture, Ghaleb Bencheikh). Elle vient de publier Pour ne pas céder (UPblisher) un recueil de textes sur l’islam et la société, (« le voile, la raison, la liberté, la laïcité ou le terrorisme »). Dans son analyse serrée des différentes versions de la constitution algérienne - six en tout depuis l’indépendance - elle met en lumière une dérive inquiétante de restriction de la liberté de conscience et d’expression, en particulier pour ce qui a trait à la religion. Et elle souligne qu’en outre le législateur « ne s’est jamais trop soucié de légiférer en cohérence avec la constitution ». Le code la famille, promulgué en 1984, en est un bon exemple, qui maintient les femmes en situation d’infériorité alors que la constitution stipule « l’égalité de tous les citoyens et citoyennes (en supprimant les obstacles qui entravent l’épanouissement de la personne humaine et empêchent la participation effective de tous à la vie politique, économique, sociale et culturelle) ». Dans sa dernière mouture de 2020, les droits humains ont disparu au profit de vagues « droits fondamentaux ». Et la liberté de conscience a été purement et simplement supprimée. Quant à la liberté d’expression, qui concerne aussi la presse, elle doit désormais s’exercer dans le respect « des valeurs religieuses, morales et culturelles de la nation ». Conclusion
Les islamistes ont profité de la réconciliation nationale voulue par Bouteflika pour soumettre les Algériens à leur volonté et aux lois de l’islam.
Par Jacques Munier
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Amel Boubekeur, codirectrice de l’Institut des sciences sociales pour la recherche sur l’Algérie (Issra) et sociologue à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) : « La sortie de crise en Algérie dépendra principalement de la capacité du régime à décriminaliser le Hirak ». Une tribune dans Le Monde
Hirak en Algérie. L’invention d’un soulèvement, ouvrage dirigé par Omar Benderra, François Gèze, Rafik Lebdjaoui et Salima Mellah (La Fabrique)
"À partir du 22 février 2019, des millions d’Algériens ont occupé des mois durant, chaque vendredi, les villes du pays pour réclamer le départ du régime. Ce hirak (mouvement) est sans précédent historique : on n’a jamais vu la majorité de la population d’un pays manifester ainsi pacifiquement pendant des mois pour exiger une authentique démocratie.
Réunissant des contributions de journalistes et professionnels algériens ayant participé au mouvement, ainsi que celles de spécialistes du pays, algériens et français, ce livre rend compte de cette extraordinaire ébullition. Il montre en quoi les mots d’ordre du hirak ont révélé la remarquable lucidité du peuple : ils disent comment le régime est dirigé par une coupole mafieuse, réunissant autour du partage des circuits de corruption les chefs de l’armée et de la police politique, cachés derrière une façade politique civile sans aucune autonomie.
Après avoir rappelé les raisons profondes du soulèvement, les auteurs restituent ses multiples facettes, l’inventivité et l’humour des manifestants et manifestantes, la place essentielle des jeunes et des femmes ou la revendication centrale de parachever la libération nationale de 1962. Sans négliger le rôle de la presse et des réseaux sociaux, ni les réactions à la répression policière. Analysant enfin les effets du hirak au sein du pouvoir, ainsi que les réactions des grandes puissances, cet ouvrage apporte des clés essentielles pour comprendre l’un des plus puissants mouvements sociaux de l’histoire moderne." Présentation de l'éditeur
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