Arménie, « vieille nation d’un jeune Etat »

Nikol Pachinian lors du rassemblement sur la place de la République à Erevan, hier soir
Nikol Pachinian lors du rassemblement sur la place de la République à Erevan, hier soir ©AFP - A. Yesayants
Nikol Pachinian lors du rassemblement sur la place de la République à Erevan, hier soir ©AFP - A. Yesayants
Nikol Pachinian lors du rassemblement sur la place de la République à Erevan, hier soir ©AFP - A. Yesayants
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Convoqué en session extraordinaire, le Parlement arménien doit élire demain le nouveau premier ministre suite à la démission de Serge Sarkissian sous la pression de la rue.

L’ancien premier ministre, après deux mandats comme président, avait été élu par le parlement, où son parti est majoritaire, conformément à la nouvelle constitution adoptée en 2015 qui lui conférait tous les pouvoirs. Le Monde consacre sa double page Débats & analyses à la situation en Arménie. Pour Gaïdz Minassian, cette « révolution de velours » marque la sortie du pays de l’ère post-soviétique. La contestation « est portée depuis le début des manifestations, le 13 avril, par une jeune génération qui n'a jamais connu le communisme. Cette jeunesse, incarnée par son leadeur, le député Nikol Pachinian, veut rompre avec les pratiques claniques et népotiques du pouvoir, stopper le pillage des ressources du pays aux mains de quelques puissantes familles d'oligarques et assainir l'appareil d'Etat de toute corruption endémique. » Dans cette « vieille nation d’un jeune Etat – la première République d'Arménie est fondée le 28 mai 1918 – les manifestants ont voulu mettre fin au système de l’État-parti « où le régime se confondait avec l'Etat, Serge Sarkissian, toujours président du Parti républicain d'Arménie (HHK), affilié au Parti populaire européen (PPE) » ayant maintenu cet héritage de l’ère soviétique. C’est donc dans l’esprit d’« une démarche de protection de l'Etat contre le régime » que les rassemblements populaires, « solidaires, joyeux » et pacifiques, ont appelé à tourner la page de « dix ans d'autoritarisme et d'intimidations à l'adresse d'un peuple vivant dans la peur et la pauvreté ». 

L'émergence de la société civile

« Les arméniens n’ont plus peur », confirme l’anthropologue Levon Abrahamian, qui observe que le leader de la contestation « Nikol Pachinian a eu recours à des tactiques qui n'avaient jamais été utilisées auparavant dans des manifestations de rue ». Par des « actions décentralisées en réseau » le mouvement s’est organisé dans différents quartiers de la capitale Erevan et de nombreuses autres villes du pays, sans directives du « centre », ce qui « a conféré une touche créative aux manifestations ». Mais aujourd’hui, souligne le professeur d’anthropologie politique, « la société civile a encore bien des défis à affronter ». D’autant que « le Parti républicain d'Arménie a tout fait pour dépolitiser la société et réduire le degré d'engagement politique des citoyens » estime le jeune politologue Hrand Mikaelian. Malgré sa faible popularité, le parti au pouvoir « était surreprésenté au niveau des instances dirigeantes nationales et locales. 

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Cela a contribué à marginaliser les autres formations politiques et à les inciter à chercher d'autres moyens de parvenir au pouvoir, puisque les élections se révélaient incapables de changer les autorités en place.

Quant au leader de l’opposition, Nikol Pachinian, s’il a « déclaré que la démocratisation était nécessaire, il n'a pas précisé ses intentions sur ce point ». Ce weekend, le dirigeant du petit parti Contrat civil continuait « de parcourir le pays pour mobiliser ses troupes. Il était attendu ce dimanche à Vanadzor, la troisième ville du pays, une nouvelle étape pour continuer à s’assurer un soutien populaire à l’approche du vote crucial du 1er mai », selon Courrier international, qui rapporte ses propos de samedi devant ses partisans rassemblés dans la ville de Idjevan : 

Je fais appel aux citoyens d’Arménie pour sortir dans la rue dès l’aube le 1er mai et submerger les rues et les places, y compris aux alentours de l’Assemblée nationale.

L’opposant ne dispose pas de majorité parlementaire, mais samedi, le Parti républicain au pouvoir a annoncé ne pas présenter de candidat pour l’élection de demain et attend de connaître le nom de tous les prétendants pour arrêter sa position aujourd’hui. 

Une victoire probable, et après?

Selon le Figarovox le parti Arménie prospère, qui a 31 sièges au Parlement, a décidé de soutenir Nikol Pachinian, tout comme le parti Fédération révolutionnaire arménienne, qui en a sept. « M. Pachinian, 42 ans, peut également compter sur l'appui de sa coalition Yelk (neuf sièges), soit un total de 47 voix. Pour être élu, il doit obtenir le vote de 53 des 105 députés : il aura donc besoin de quelques transfuges du Parti républicain, qui détient avec 58 sièges la majorité absolue au Parlement. » Le porte-parole du groupe parlementaire du Parti républicain a d'ores et déjà déclaré à la presse : « Si trois forces politiques parlementaires soutiennent un seul candidat pour l'élection du Premier ministre, alors le Parti républicain ne s'y opposera pas ». D’où la conclusion de Nikol Pachinian, qui a demandé une réunion avec cette formation politique : 

Les députés du parti au pouvoir semblent ne pas vouloir être un obstacle à ma candidature.

Le Point cite des observateurs selon lesquels le candidat devrait pouvoir en rallier certains. « Je suis sûr qu'au moins six personnes du Parti républicain – comme des rats qui quittent le navire – voteraient pour Pachinian », a déclaré à l'AFP l'expert Ervand Bozoïan. Le compte est bon… Reste à savoir ce que l’ex-journaliste fera de sa victoire.

Par Jacques Munier