Climat : la révolution copernicienne

"Repérer les principaux vents de la mondialisation"
"Repérer les principaux vents de la mondialisation" ©Getty
"Repérer les principaux vents de la mondialisation" ©Getty
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L’expression est employée par l’économiste Patrice Geoffron dans une tribune sur la transition écologique publiée dans Le Monde : « Un grand récit aura manqué pour donner du sens à l’effort ».

Selon le prof à Paris-Dauphine, face aux défis de la transition écologique et au poids des énergies carbonées – 80% du bilan énergétique mondial – « le seul déploiement massif d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques » ne suffira pas. C’est pourquoi il parle de révolution copernicienne. 

Dès lors qu’il implique de réformer l’aménagement territorial, l’urbanisme, l’habitat, les transports, l’agriculture, l’industrie, le commerce international même, l’impératif est bien d’inventer un nouveau modèle de société.

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Dans les nations démocratiques, cela suppose de réinventer « des processus délibératifs », de manière à éviter les fractures sociales et territoriales, car « seules les sociétés où les objectifs de cette transition auront longuement infusé, où le sens des efforts sera largement partagé, où la charge aura été équitablement répartie, gagneront en résilience et progresseront ». Et pour ajouter du sens à ce nouvel « horizon d’attente » à l’échelle planétaire, ce que la juriste Mireille Delmas-Marty appelle « les forces imaginantes du droit » peuvent apporter leur contribution. 

Internationalisation du droit écologique

Dans un article dense et éclairant publié sur le site d’information et d’analyse AOC sous le titre « Repenser le droit à l’heure de l’Anthropocène », elle souligne ce paradoxe : « au moment où l’Humanité devient une force tellurique capable d’influencer l’avenir de la planète, elle semble impuissante à influencer son propre avenir », car « rien (ou presque rien) ne semble changer dans la vision nationaliste et souverainiste qui sous-tend les systèmes de droit conçus et pensés à partir des États ». Pourtant, la globalisation implique de fait une déterritorialisation, qu’il s’agisse des flux financiers ou de l’information, des risques globaux (climatiques ou sanitaires) ou des crimes globalisés (trafics, corruption, terrorisme). Par ailleurs le principe de l’extraterritorialité existe déjà pour les Etats-Unis, qui imposent leur droit à l’ensemble de la planète, sans parler des multinationales qui ne cessent de contourner les législations nationales. Le mot « globalisation » renvoie d’ailleurs à la forme sphérique de la Terre, et c’est elle qui inspire à Emmanuel Kant ce principe de droit : « ne pas être traité en ennemi dans le pays où l’on arrive. Le principe d’hospitalité universelle s’impose selon lui parce que la dispersion à l’infini est impossible et que les relations de plus en plus étroites entre les peuples sont portées au point qu’une violation de droits dans un lieu est ressentie partout ». À l’époque la planète abritait à peine un milliard d’êtres humains. Aujourd’hui nous avons dépassé les 7 milliards et la révolution numérique accroît l’interdépendance entre groupes humains. Donc l’horizon d’une internationalisation du droit se dégage sur le front écologique, à la faveur notamment de l’apparition de nouveaux concepts comme le patrimoine commun de l’humanité ou les biens publics mondiaux, de nouvelles catégories comme les générations futures, de nouveaux crimes comme l’écocide et les préjudices écologiques à réparer. La révolution copernicienne doit s’entendre également au niveau des représentations juridiques. « Tout le vocabulaire (fondations, fondements, droits fondamentaux), toutes les métaphores (pyramide, socle, pilier) incitent à se représenter l’ordre juridique comme un équilibre statique. » 

La rose des vents

Mireille Delmas-Marty suggère un autre système de représentation inspiré par le modèle de la rose des vents : celle-ci « permet de faire le point », et de « repérer les principaux vents de la mondialisation, montrer les contradictions, voire les tourbillons, qu’ils génèrent. D’abord entre les vents dominants (liberté contre sécurité, compétition contre coopération). Puis entre les « vents d’entre les vents » (innovation contre préservation, exclusion contre intégration) ». De façon à élaborer une « pensée juridique ouverte, en mouvement et moins dogmatique », à l’échelle planétaire. Pour repeupler un imaginaire naturel qui redonne du sens à notre présence au monde, Marielle Macé en appelle au lyrisme spontané des oiseaux, dont elle prévient qu’ils pourraient bien se taire un jour si l’on n’y prend garde : en quinze ans, près d’un tiers d’entre eux ont disparu de nos paysages. La dernière livraison de la revue Critique pose la question : comment vivre dans un monde abîmé ? En écoutant le chant des oiseaux comme font les poètes, et en prenant la mesure de ce que serait un monde sans eux, ni leur intimité sonore, leur langage sans paroles. Marielle Macé rappelle la remarque de Francis Ponge : « en français le mot oiseau contient toutes les voyelles de l’alphabet. Cela en fait une sorte de chant intérieur ou latent. » Comment imaginer un printemps sans oiseau ?… La revue Les others, les autres, c’est-à-dire aussi les vivants non-humains, s’emploie, par le reportage et la photographie, à donner voix et figure à notre environnement naturel. L’écrivain et aventurier John Davis parcourt des milliers de kilomètres à la marche, en canoë ou en vélo, de la Floride jusqu’au Québec ou du Canada au Mexique pour observer les entraves posées par les infrastructures humaines aux libres déplacements des animaux. Et imaginer des solutions pour reconnecter de larges espaces sauvages. Ça s’appelle le « rewilding », le réensauvagement.

Par Jacques Munier

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