Corruption et politique

Les Aventures des pieds nickelés, 1948
Les Aventures des pieds nickelés, 1948 ©AFP - WALTER LIMOT / PHOTO12
Les Aventures des pieds nickelés, 1948 ©AFP - WALTER LIMOT / PHOTO12
Les Aventures des pieds nickelés, 1948 ©AFP - WALTER LIMOT / PHOTO12
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François Fillon a donc été mis en examen, notamment pour détournement de fonds publics et recel d’abus de bien sociaux.

Initialement prévue aujourd’hui dans le cadre de l’enquête sur les soupçons d’emplois fictifs de son épouse et de deux de ses enfants, « l’audition a été avancée pour qu’elle se déroule dans des conditions de sérénité », a précisé son avocat à l’AFP. Pour Anne-Marie Le Pourhiet, dans les pages Débats de La Croix, le parquet financier n’est pas compétent car « seul le bureau de l’Assemblée pouvait prendre l’initiative d’enquêter ». Par ailleurs, s’agissant d’emplois présumés fictifs, la professeure de droit constitutionnel estime que le juge n’est pas censé s’immiscer dans la vie privée pour évaluer la réalité d’un travail. « Si tous les dilettantes se retrouvaient dans le viseur de la justice, on ne compterait plus les mises en examen ! » On ne sait pas si la juriste vise ainsi les parlementaires, dont on évalue à 16 % entre 2014 et 2016 le taux de présence pour l’ensemble des votes et des amendements… « Soit l’Assemblée nationale contrôle ses représentants, soit elle ne le fait pas et se dessaisit elle-même de son pouvoir » lui répond Céline Spector. « L’immunité parlementaire ne peut pas être un privilège exonérant un citoyen qui exerce des responsabilités politiques de répondre de l’utilisation qu’il fait de l’argent public », affirme la professeure de philosophie morale et politique à la Sorbonne. Et la séparation des pouvoirs ne signifie pas l’étanchéité du législatif à l’égard du judiciaire…

« Quand la morale fout le camp, le fric cavale derrière », disait Prévert

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La formule pourrait servir d’exergue à l’hebdomadaire Le un qui rouvre aujourd’hui le dossier de la corruption. « La fin d’une époque ? » titre-t-il avec optimisme. Il est vrai que nos concitoyens supportent chaque fois plus mal les libertés que s’autorisent les politiques à l’égard des règles et du bien commun. Je me souviens des propos d’Éric de Montgolfier, dépêché à Nice en 1999 pour une affaire de collusion d’intérêts entre certains magistrats, des élus visés par des procédures et des figures du milieu local. En arrivant au tribunal, un détail l’avait frappé : des trois portes d’entrée où figurait la devise républicaine, l’une au centre était inaccessible, celle de l’Égalité… Dans cette nouvelle livraison de l’hebdomadaire, Jean Garrigues revient sur la longue histoire des scandales politico-financiers de la République. Wilson, le gendre du président de la République Jules Grévy, qui « faisait commerce de décorations au premier étage de l’Élysée, contre de l’argent ou des participations dans ses entreprises », Panama, Staviski, le clientélisme et l’affairisme de l’État gaullien, les diamants de Bokassa, Méry ou Cahuzac, n’en jetez plus, la cour du Front national est pleine, qui lui permet de noyer ses propres turpitudes. Pour l’historien de la politique, si l’on peut aujourd’hui « regretter que le scandale influe profondément sur une campagne électorale en cours, il faut se réjouir que les contre-pouvoirs jouent leur rôle : c’est le gage des progrès de la démocratie ». Notre excellent confrère Antoine Garapon ajoute qu’en l’affaire « ce n’est pas le juge qui devient un nouvel acteur politique, c’est l’homme politique qui devient un nouveau justiciable. Bien sûr, cela fait tout drôle à François Fillon parce qu’il n’a pas compris que nous vivons de grands changements ». Même si « nous ne sommes pas une démocratie juridique comme le sont les démocraties anglo-saxonnes ». Et pour Philippe Pascot, ancien élu d’Île-de-France et auteur de plusieurs livres sur la corruption et les abus de certains hommes politiques, il est clair qu’« une grosse minorité d’élus peut être qualifiée de “pourris” ».

Nombre d’entre eux sont, comme on dit, « sans vergogne »…

L’historien Sylvain Venayre invite dans les pages idées de Libération à identifier le sens des émotions dans l’engagement politique. « La peur est dans la campagne : la peur de ceux qu’inquiètent l’état des rapports de force politiques et la perspective d’une victoire, sinon de l’extrême droite, du moins de son idéologie ». Elle est aussi présente dans la confusion des sentiments : « qui veut croire, au prétexte de l’étymologie, que la xénophobie n’est que la peur de l’étranger? que l’islamophobie n’est que la peur de l’islam? » Ni que s’y ajoute une bonne dose de haine. Dans la liesse des militants du Trocadéro, il y a beaucoup de colère et d’inquiétude. Et une joie mauvaise, celle de sortir les sortants, sans plus de lendemain chantant. Sylvain Venayre revient pour finir sur la signification forte du mot vergogne au Moyen Age, soit « non seulement la honte qui suivait une action moralement condamnable, mais aussi la honte d’avant la honte, une forme de pudeur qui, pour des raisons tenant au sentiment de l’honneur, anticipait l’humiliation. Une honte honorable en quelque sorte, dont les clercs espéraient bien qu’elle pourrait préserver de la faute ». Et l’on s’interroge avec lui : « Mélange de honte, de pudeur et d’honneur, la vergogne n’aurait-elle pas pu modifier le comportement du candidat de la droite, si prompt à se dire chrétien? »

Par Jacques Munier

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