C’était la rentrée scolaire cette semaine et comme tous les ans, le sujet revient dans la presse. Gros plan sur le métier de prof.
Le saviez-vous ? « Prof » est une apocope, soit la chute de la terminaison d’un mot, comme dans « ciné » pour cinéma. Robert Solé le rappelle dans l’hebdomadaire Le un qui paraît aujourd’hui. L’apocope appartient à la famille des métaplasmes, qui désignent une modification phonétique ou morphologique altérant l'intégrité d'un mot par addition, suppression, substitution ou permutation d’éléments phonétiques ou morphologiques. Et la liste est longue… Exemple : l’aphérèse – l’inverse de l’apocope – la suppression des premières lettres, comme dans « bus » pour autobus. Ou encore l’anagramme, la contrepèterie, la crase, comme dans « t’ar ta gueule à la récré ». Prof aurait fait son apparition dès 1890 et – ajoute le chroniqueur lexicographe – « dans un métier qui se féminise, cette abréviation neutre a au moins le mérite de nous éviter le vilain professeur-e ou le ridicule professoresse ». Mais les « professeurs abrégés », comme disait l’un d’eux, n’ont plus seulement de raccourci que le nom. Dans son édito, Julien Bisson évoque le « recours croissant aux enseignants contractuels dans l’Éducation nationale : ils sont désormais plus de trente mille dans le second degré », un chiffre en hausse de 15 % sur deux ans. Des enseignants sans formation spécifique, recrutés à bac + 3, et affectés en priorité dans les établissements les plus difficiles, une situation « mal vécue, que ce soit par leurs collègues, qui y voient un mépris du métier, ou par les parents d’élèves, qui s’inquiètent de la qualité des cours donnés ». L’éditorialiste brosse un tableau plutôt sombre.
Le nombre de candidats au Capes ou à l’agrégation a chuté de 30 % en quinze ans, et chaque année des centaines, voire des milliers de postes, ne sont plus pourvus.
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En 2018, par exemple, 358 postes n’ont pas été pourvus au Capes et 118 à l’agrégation. « Quant aux démissions, jusqu’alors rarissimes, elles ont doublé en cinq ans, notamment chez les professeurs stagiaires, découragés avant même de boucler leur première année. » Les enquêtes PISA ont montré du doigt le caractère inégalitaire du système éducatif français, et l’on sait désormais, « depuis l’édition 2015, que notre pays est aussi celui où le climat de discipline est le plus dégradé ! »
Doléances
En salle des profs les doléances affluent : 32 % des enseignants se plaignent de troubles de l’audition, conséquence d’un bruit ambiant, 46 % souffrent régulièrement d’extinction de voix, et globalement d’une « perte de sens » affectant un métier « qui ne consiste désormais plus en celui d’éducateur, mais davantage en celui d’évaluateur ». Sans compter des salaires parmi les plus bas d’Europe, les situations familiales compliquées, voire dramatiques, de certains élèves en Zone d’éducation prioritaire… Iannis Roder *, professeur d’histoire-géographie dans un collège de Seine-Saint-Denis et directeur de l’Observatoire de l’éducation de la Fondation Jean-Jaurès, apporte son témoignage. « En REP, les élèves sont exigeants. Ils ne veulent surtout pas qu’on les prenne à la légère, qu’on ne leur donne pas ce que tout enfant de France mérite. » Un travail d’enseignement, sans démagogie, qui est aussi « un véritable engagement militant, civique, surtout si vous faites le choix de ces espaces de relégation sociale. On doit les faire réfléchir, leur apporter du contenu, du vocabulaire. C’est à travers la maîtrise de sa science que l’enseignant va poser son autorité. » Et le mot est lâché. L’autorité est de retour dans tous les articles, les débats, les tribunes, même si elle est mâtinée de bienveillance, d’attention et d’écoute.
Le temps d'apprendre
Le temps dévolu à l’apprentissage aussi, à l’époque de l’immédiateté, du « tout, tout de suite » et des réponses faciles, favorisés par les usages du web. De même pour les évolutions du système scolaire, comme le souligne François Dubet dans le dernier N° du mensuel Sciences Humaines, consacré à l’éducation. « Avec 1 million d’enseignants, 12 millions d’élèves, et la moitié des familles françaises concernées », ces évolutions sont forcément lentes. Le philosophe Jacques Rancière décrit ainsi le phénomène de la transmission : « le rapport entre deux exercices » ou « entre deux aventures intellectuelles. L’aventure intellectuelle de celui ou celle qui occupe la fonction de maître est de provoquer celles et ceux qui lui font face à répondre, à engager leur propre chemin pour apprendre. » Au sommaire de Philosophie magazine ce mois-ci, un dossier sur le contenu éthique de l’éducation, avec notamment de larges extraits de l’ouvrage fondateur de John Dewey, Démocratie et éducation, deux mots qui semblent à la fois si liés et désormais si difficiles à marier. Le philosophe pragmatique s’interroge :
Personne n’a jamais expliqué comment il se fait que les enfants aient tant de questions à poser en dehors de l’école (à telle enseigne qu’ils empoisonnent la vie des adultes si on les encourage en répondant) et témoignent d’une absence totale de curiosité concernant l’objet des leçons à apprendre pour l’école.
Sa réponse tient dans un mot : l’expérience, à mettre au cœur de la pédagogie, pour réunir sensation et action de manière à s’engager dans le monde.
Par Jacques Munier
* Auteur de Tableau noir : la défaite de l’école (Denoël, 2008), et de Allons z’enfants : la République vous appelle ! (Odile Jacob, 2018)
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