

La fête chrétienne de l’Ascension célèbre la montée au ciel de Jésus après sa résurrection. C’est aussi sa dernière rencontre avec les apôtres. Marie, sa mère, était présente…
Les Actes des Apôtres la décrivent en prière avec les disciples juste après l’événement. Bien qu’elle ait suscité une foisonnante tradition littéraire, mystique et iconographique, la présence de la Vierge Marie dans les Évangiles est plutôt rare, et ses propos encore davantage. Elle « gardait toutes ces paroles et y réfléchissait dans son cœur » nous dit Luc. Dans un livre publié chez Bayard sous le titre Marie Une vie au-delà des siècles, Carlo Ossola évoque pour décrire ses interventions « une sobriété mesurée et forte ». Par exemple aux noces de Cana, elle se contente de dire à son fils : « Ils n’ont plus de vin », mais ce faisant, elle rend, par « son autorité naturelle, le miracle urgent et irrécusable ». Ou quand elle cherche, « avec une appréhension irritée, son jeune fils qui s’était perdu parmi les docteurs du Temple », c’est la figure de la mère, dans toute sa « vigoureuse » présence qui s’affiche. Avant que la tradition mariale ne porte sa voix comme « une Bible abrégée », sa parole dans les Évangiles, contrairement à celle du Christ qui « singularise, identifie, interpelle un à un », est la voix de tous, comme l’a souligné Jean Starobinski (Trois fureurs, Gallimard). C’est sans doute pourquoi, si l’année chrétienne est scandée par les moments saillants de la vie du Christ, « le rythme mensuel de la vie du chrétien est plutôt scandé par les fêtes mariales, en particulier dans la tradition orthodoxe », et ailleurs par la dévotion du Rosaire, le mois marial, les sanctuaires et les cultes dédiés.
Alma Redemptoris Mater
Carlo Ossola, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire de Littératures modernes de l’Europe néolatine, parcourt en esthète de la foi les mille et un chemins de cette dévotion, depuis les auteurs apocryphes et les apologètes comme Ephrem le Syrien, et de Dante ou Montaigne à Leopardi, Léon Bloy, Rilke ou Max Jacob pour y retracer « le cours de la mémoire collective », qui « vit de ces courants profonds dont la littérature constitue souvent les rides » en surface : « un seul murmure ininterrompu d’une humanité pauvre et qui ne voudrait pas l’être ». Car c’est une figure d’intercession que Marie représente à tout jamais. Dès les hymnes « aux vers palpitants » d’Ephrem le Syrien, qui « ramène le mystère de l’Incarnation à l’humanité de Marie, à ses réticences et à ses inquiétudes de femme, à la conscience de signe d’union et de contradiction, de miracle et de scandale, de respect de la Loi et de la nouveauté salvatrice qu’elle porte dans son ventre ». Une figure de médiatrice célébrée par Huysmans comme le « Havre des pleure-misères, Marie des compatissances, Mère des pitiés ! »
"Fille de ton fils"
Spécialiste de Dante, Carlo Ossola rappelle l’importance de la figure de Marie dans la Divine Comédie.
Vierge mère, fille de ton fils, humble et haute plus que créature, terme fixé d’un éternel décret, tu es celle qui a tant anobli notre nature humaine que son créateur daigna se faire sa créature. (Paradis, XXIII, 1-6)
La « densité de cette juxtaposition de paradoxes » en résume d’autres, fondamentaux dans la théologie chrétienne : Trois en un, Dieu et homme, Passion et gloire, mort et résurrection… Le poème du Florentin s’achève par le retour au temps humain. Au « pèlerin de l’éternité » revient alors le souvenir d’une bataille et d’une disparition, assortie d’un message : « je finis dans le nom de Marie ». C’est ainsi que Dante achève son périple et retour amont, lui aussi « dans le nom de Marie ».
La Visitation
La tradition iconographique a illustré de nombreux moments de la vie de Marie : l’Annonciation, la Nativité, la Fuite en Egypte, la Crucifixion et la Déposition, la Dormition… Mais l’épisode le plus personnel et incarné est sans doute la Visitation. Il est rapporté par l’Évangile de Luc, mais aussi dans le Protévangile de Jacques, un apocryphe. Il évoque la visite que fait Marie, quelques jours après l’Annonciation, à sa cousine Elisabeth, elle-même enceinte du futur Jean-Baptiste, malgré son grand âge et en vertu également d’une grâce divine. Les deux femmes partagent cette condition, d’avoir été élues par Dieu lui-même pour porter, l’une un prophète, et l’autre Sa propre incarnation. La scène généralement représentée est celle d’une embrassade, avec le geste d’Elisabeth qui touche le ventre de Marie. L’embrassade, qui se dit en grec d’un mot qui désigne aussi une forme particulière de dévotion aux icônes, aspasmos, a en l’occurrence une signification symbolique : en reconnaissant Marie comme mère de Dieu, Elisabeth, la femme du prêtre Zacharie, décide du même coup de la reconnaissance de la Nouvelle Alliance par l’Ancienne, et du christianisme par le judaïsme. Du point de vue iconographique, la représentation du fœtus est celle d’un modèle réduit d’enfant qui apparait en transparence ou serti dans une mandorle à l’endroit du ventre maternel. Enfanter Dieu reste un mystère, même dépeint par artifice. Et l’on devra se contenter longtemps de cette image pour l’admettre. Reste le son dont parle Le Tasse, quand est dit le nom de « Marie » dans les cloîtres étoilés.
Par Jacques Munier
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