Développement durable

Le chemin et le champ / Perig Pitrou
Le chemin et le champ / Perig Pitrou -  Société d'ethnologie
Le chemin et le champ / Perig Pitrou - Société d'ethnologie
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La sagesse des peuples autochtones pourrait nous indiquer le chemin…

Un nouvel épisode de pollution aux particules fines a lieu depuis dimanche à Paris, à Lyon, dans le Centre et dans l’Ouest.

Il est dû à une situation anticyclonique et un temps froid et sec, associé à peu de vent, bref un temps idéal de saison avec un grand soleil. Dans nos villes, les causes principales sont le trafic routier et le chauffage résidentiel, mais tout au long de l’année les transports n’engendrent que 15 % de nos émissions (6 % pour les voitures, 4 % pour les camions et 2 % pour l’aérien, pareil pour le maritime). Comme le rappelle Jean-Marc Jancovici dans Les Echos, « si l’année 2016 a été la plus chaude depuis le début des relevés de température (en 1860), ce n’est pas uniquement dû aux transports ». Une pratique si ordinaire qu’on ne songerait pas à l’incriminer est responsable de 30% de la pollution de l’air, soit le double des transports : c’est manger, se nourrir, se sustenter même sur un coin de table… La faute à « la fabrication puis l’épandage des engrais azotés, au carburant des engins motorisés, aux rizières (les détritus organiques y fermentent à l’abri de l’oxygène de l’air, avec des émissions de méthane), et à tous les ruminants qui émettent aussi du méthane à cause de la fermentation des végétaux dans leur système digestif ». Sans compter « les déjections des cochons, vaches, ou volailles, qui engendrent aussi des émissions de méthane » ou « la conversion de surfaces boisées en surfaces cultivées ». Car « plus nous mangeons de viande, plus il faut déboiser : il faut 10 fois plus de surface cultivée pour manger un kilo de bœuf que pour manger un kilo de végétaux ». Les amateurs de steak – j’en suis – ou de fromages devront s’y faire : se restreindre et, pour éviter la ruine des éleveurs, revenir aux système des quotas que l’Europe a abandonné, « pour diminuer fortement les quantités, multiplier les chartes de qualité et les appellations d’origine, et tripler le prix au kilo en sortie de ferme. Ici comme ailleurs – conclut le spécialiste des énergies et du climat – nous ne résoudrons pas le problème du monde fini avec des outils libéraux conçus pour un monde infini qui n’existe plus ».

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La sagesse des peuples autochtones pourrait nous indiquer le chemin…

Préserver la ressource, optimiser sa répartition équitable, les cultures traditionnelles ont beaucoup à nous apprendre. Dans une enquête au long cours menée chez les Amérindiens de la province d’Oaxaca au Mexique, et publiée par la Société d’ethnologie sous le titre Le chemin et le champ, l’anthropologue Perig Pitrou a étudié le rapport à la nature du peuple des Mixe. Veillant constamment à ne pas prélever en excès les ressources naturelles, lorsque la nécessité s’impose ils ont prévu des dispositifs de compensation, notamment rituels, une procédure de pardon mise en œuvre, par exemple, à l’occasion d’une coupe importante de bois de chauffe en prévision d’une fête. « Selon une logique similaire à celle de la chasse, une ponction trop massive exige une compensation, non pour empêcher les arbres de souffrir, ce qui est inévitable, mais afin qu’une instance de contrôle ne juge pas cette action injustifiée ou démesurée. » Cette instance est en l’occurrence une entité supérieure désignée comme « Celui qui fait vivre », et dont on craint la souffrance qu’on pourrait ainsi lui infliger. Le plus intéressant dans cette attitude, c’est qu’elle s’applique aussi aux relations sociales, notamment dans la gestion des conflits. Les édiles sont élus, la charge bénévole qui leur incombe pour une durée d’un an inclut les pouvoirs de police et de justice. Ils doivent en rendre compte à l’issue de leur mandat et s’il y a eu des erreurs ou des fautes la même procédure de pardon s’impose. Pareil pour les opérations de police ou les incarcérations, exceptés les crimes les plus graves – viols ou meurtres – déférés à la justice de l’état. La grande majorité des arrestations concernant les délits d’injure, le plus souvent en état d’ivresse, on considère qu’il s’agit d’une déroute au sens propre : en langue mixe l’insulte se dit « le fait de se perdre en parlant » et l’agression « se perdre en agissant », au sens de perdre le bon chemin. On n’est pas dans notre système de représentations où les mauvaises actions proviennent de la malveillance, d’une liberté de la volonté. C’est pourquoi les policiers adoptent la même procédure rituelle de la « coupure par le pardon » après avoir arrêté et emprisonné quelqu’un, pour éviter que le conflit qu’ils ont tranché ne dégénère. Et dans leur formation, l’accent est mis sur l’apaisement plutôt que sur la punition, le contrôle de soi pour instaurer une distance entre leurs émotions et l’usage de la force dont ils sont investis, afin de rompre le cycle de réciprocité négative qui menacerait de s’enclencher sans cela.

Autre prérogative subtile de l’entité naturelle désignée comme « Celui qui fait vivre » : la production des idées

Particulièrement utile pour ceux qui s’apprêtent à gouverner, ce pouvoir serait aussi à l’origine du savoir-faire des artisans. Et il inspire les représentants du peuple : « trouver les solutions et les bonnes paroles pour que les conflits ne dégénèrent pas ».

Par Jacques Munier

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