

L’attentat d’Orlando est le signe inquiétant d’une globalisation du djihadisme
Aux Etats-Unis celui-ci se forme davantage sur des considérations géopolitiques alors qu’en Europe, il s'explique à partir d'éléments sociaux, estime dans Le Monde Farhad Khosrokhavar, qui relève le paradoxe qu’en Amérique « les classes moyennes musulmanes semblent moins enclines à s'engager dans la guerre sainte contre leur pays, même si celui-ci a une politique étrangère bien plus " anti-arabe " que l'Union européenne ». Et c’est bien ce qui semble pourtant motiver les djihadistes – je cite « Un sentiment de solidarité panislamique... Le spectacle d'une Amérique qui serait immorale et tolérante vis-à-vis des " vicieux " (les homosexuels) et intolérante vis-à-vis des musulmans (répression des Palestiniens, attaque par drones de cibles à l'intérieur d'Etats où se développe le djihad) leur donne un profond sentiment d'iniquité. Ce dernier tranche avec l'Europe où la focalisation se fait sur le malheur des musulmans à l'extérieur et leur exclusion sociale à l'intérieur (la grande majorité des musulmans européens vient des couches populaires). » Dans les mêmes pages Débats et analyses du quotidien Patrick Cockburn, correspondant au Proche-Orient du journal britannique The Independent et spécialiste du djihadisme, insiste sur les bénéfices que tire l'organisation Etat islamique des attaques commises en son nom, sans être très impliquée dans leur préparation. « Orlando démontre par ailleurs à quel point commettre un attentat est facile. Si la cible est civile, une plage en Tunisie, un concert à Paris, une boîte de nuit à Orlando, nul besoin de suivre un entraînement élaboré, il suffit d'être prêt à mourir. Les services de renseignement n'ont pas un très bon bilan pour ce qui est de distinguer les islamistes les plus dangereux de la communauté musulmane dans son ensemble. L'EI le sait et l'a intégré dans sa stratégie, les attentats servent à installer le chaos. C'est déjà ce qui s'est produit en Syrie et en Irak. » Pour l’auteur du livre Le Retour des djihadistes « Une récente série d'attaques dans les environs de Bagdad a coûté la vie à 200 chiites, attisant la haine antisunnite. Au Proche-Orient, comme en France, en Tunisie et aux Etats-Unis, l'objectif est de provoquer un basculement vers l'affrontement communautaire. » Daech vote pour Donald Trump et Marine le Pen…
Les ratés des services de renseignement, c’est le sujet de François Heisbourg dans ces pages du Monde
Dans son ouvrage "Comment perdre la guerre contre le terrorisme", le conseiller spécial à la Fondation pour la Recherche Stratégique souligne la médiocrité du gouvernement français en matière de lutte contre le terrorisme. « Les radars étaient tournés dans la bonne direction, les personnes impliquées dans les attentats étaient quasiment toutes fichées mais on ne savait pas quoi faire pour exploiter et transformer ce renseignement dans quelque chose d’utile » avait-t-il déclaré sur France Inter à propos des attentats de Paris, mais l’analyse vaut, semble-t-il, pour le double assassinat de Magnanville. À propos d’Orlando et des failles dans le système de sécurité américain François Heisbourg estime qu’à première vue, « le terroriste paraît avoir été fiché un peu comme " nos " fichés " S ". Les Français manquaient sans doute de moyens pour assurer le suivi nécessaire. Mais, aux Etats-Unis, les moyens ne sont pas comptés, donc les problèmes sont ailleurs. Peut-être la tendance à " faire la pêche au chalut " (surveiller la Terre entière) plutôt que la " pêche au harpon " (focaliser l'effort sur les " fichés ") y est-elle trop forte. Le même phénomène paraît avoir joué en faveur des frères Tsarnaev, les auteurs des attentats du marathon de Boston. »
"L’école contre la fascination pour le djihad", l’idée est excellente
C’est un prof en sciences de l’éducation qui la défend dans la revue Projet. Denis Meuret cite un article du New York Times qui s’inspire d’un livre de référence en psychologie sociale The true believer Le vrai croyant d’Eric Hoffer. Le titre de l’article : Comment Daech fabrique des radicaux. Il pointe deux éléments contre lesquels l’école peut prémunir : « une dévalorisation radicale du présent au profit d’un passé mythifié et d’un futur paradisiaque ; une disqualification de l’expérience réelle et de l’observation directe comme moyen d’accès à la vérité ». Denis Meuret explore trois dimensions où se déploient selon lui « les mécanismes qui conduisent un terroriste à trouver son action légitime : le rapport à soi, le rapport au monde et le rapport aux autres ». Se prendre en charge et ne pas se considérer comme la victime de forces maléfiques est l’un des objectifs que le philosophe John Dewey assignait à l’école – je cite « donner à l’enfant possession de lui-même ». Le rapport au monde développe le sens de la complexité, et le rapport aux autres empêche la tendance à la dépersonnalisation des cibles potentielles, développe l’empathie et ce que Martha Nussbaum appelle des « émotions démocratiques ».
Par Jacques Munier
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