Droit et devoir d’asile

 Appel à volontaires pour prendre la place des migrants dans un centre de détention, 3/04/18, Hendaye.
 Appel à volontaires pour prendre la place des migrants dans un centre de détention, 3/04/18, Hendaye. ©AFP - I. Gaizka
Appel à volontaires pour prendre la place des migrants dans un centre de détention, 3/04/18, Hendaye. ©AFP - I. Gaizka
Appel à volontaires pour prendre la place des migrants dans un centre de détention, 3/04/18, Hendaye. ©AFP - I. Gaizka
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Après son adoption mouvementée en première lecture à l’Assemblée, le projet de loi asile et immigration continue à faire débat.

Un éclairage à la fois serein et instructif est aujourd’hui porté dans Le Point par Smaïn Laacher qui fut pendant seize ans juge assesseur à la Cour nationale du droit d’asile, représentant le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Il estime qu’il n’est pas nécessaire de modifier le droit d’asile mais qu’il faut plutôt « améliorer son application ». Compte tenu des surenchères sur le sujet, c’est toujours « par le bas » qu’interviennent les changements. « Aujourd’hui, l’Etat s’évertue à faire en sorte que le premier venu ne puisse pas demander l’asile, sans dire franchement que l’asile lui pose problème – explique-t-il à Clément Pétreault. Il est difficile pour un pays membre de l’Union européenne d’aller à l’encontre du droit d’asile, car l’asile tel que nous le connaissons est né en Europe. » Le sociologue, spécialiste des mouvements migratoires, revient sur son expérience dans un livre paru chez Gallimard : Croire à l’incroyable. Un sociologue à la Cour nationale du droit d’asile. Il y raconte « les coulisses de cette juridiction si particulière, la difficulté de se forger une opinion sur des faits qui se sont déroulés à des milliers de kilomètres, parfois sans témoins ni preuves » et la responsabilité des juges de dire le droit, de « faire preuve d’humanité, sans se laisser aveugler ». Mais il rappelle que « le doute doit bénéficier au requérant » : 

Imaginez que l’on refuse l’asile à un homme qui est renvoyé chez lui. Lorsqu’il arrive à l’aéroport, les services de sécurité l’arrêtent et il disparaît. Comment vivre avec ça sur la conscience ?

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De plus, il considère que les violences subies durant le trajet devraient être prises en compte : comment ignorer « que ces personnes traumatisées, en particulier les femmes, qui ont été tabassées, violées, parfois réduites en esclavage sur leur trajet, doivent être soignées et protégées ? » La question migratoire est centrale pour tous les partis politiques européens depuis longtemps, mais depuis les années 1970 « la fermeture des frontières ne fait rien d’autre qu’inventer la figure du clandestin ! » Dans de nombreux secteurs de l’économie – agriculture, viticulture, bâtiment, hôtellerie et restauration – où la main d’œuvre est souvent d’origine étrangère et parfois en situation irrégulière on s’accommode de cette situation qui n’est pas sans avantages. 

Une question biaisée

Aujourd’hui le débat prend des allures culturelles, voire civilisationnelles, on parle d’identité, voire de « grand remplacement »… Dans la dernière livraison de la revue Projet, le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa remonte aux racines de la crispation anti-migrants, qui affecte de nombreux pays d’Europe et favorise la montée de mouvements populistes et radicaux de droite, « qui plaident pour la fermeture des frontières et exigent des nouveaux immigrants une stricte assimilation ». Il souligne que « la peur de l’autre résulte notamment du fait que l’on ne se sent pas soi-même reconnu et considéré ». Et qu’elle traduit « un rapport au monde sclérosé », du fait que ces populations, qui redoutent la relation avec ce qui leur apparaît étranger comme une confrontation et une menace, ont vécu tout changement comme une décadence et un déclin. 

On peut préciser ce type de relation au monde en usant de la notion d’aliénation : les personnes redoutent la rencontre avec les autres parce qu’elles y voient le danger d’une atteinte à leur identité.

Se sentant « incomprises, invisibles, isolées, sans voix dans un environnement indifférent ou même menaçant », elles s’emploient à « maintenir ce monde à distance ». À ce rapport au monde, la crise des réfugiés offre « une surface de projection idéale ». Or sans dialogue on n’entend plus sa propre voix, dit en substance Hartmut Rosa. Qui plaide pour développer la capacité à entrer « en résonnance avec le monde », à regagner confiance en soi et, concrètement, dans ces régions rurales d’Europe et d’Allemagne, particulièrement touchées par les conséquences de la mondialisation, désertées par le dynamisme, l’esprit d’entreprise et l’audace des jeunes, accueillir « ceux qui nous rejoignent » et sont, eux, pleins d’espoir et de désir d’agir. Il leur suffit alors d’avoir un nom et un visage pour dissiper la sourde menace de l’invasion anonyme. 

Nouvelles mobilisations

Près de Bayonne, un village s’est mobilisé pour protéger un réfugié. Dans une langue haletante et comme imprégnée par le tourbillon des événements, Marie Cosnay décrit l’angoisse partagée de l’attente du résultat de l’audition à la Cour nationale du droit d’asile, l’agitation et les projets d’insertion, la résistance qui s’organise, la pétition qui a recueilli, en une journée, 750 signatures… C’est dans la dernière livraison de la revue Vacarme, consacrée à l’accueil des étrangers. La mobilisation du village illustre cette « nouvelle culture politique » qui s’ébauche sur le terrain, dans la pratique concrète de l’accueil et de l’assistance, pour permettre à cette personne – je cite - de rester là, de « poser là l’asile lui qui est dubliné, a laissé ses empreintes en Italie, rien d’autre que ses empreintes en Italie, les 750 qui ont signé savent maintenant ce que c’est Dublin III, maintenant les 750 du village parlent une langue nouvelle, du moins ils ont dans leur langue des mots nouveaux, on l’a dédubliné, ils disent… »

Par Jacques Munier