

L’écologie, qui n’est pas très présente dans la campagne présidentielle, est pourtant une question politique à part entière.
C’est que, pour Bruno Latour, « les écologistes ont beaucoup de mal à fabriquer du politique avec ce qu’ils appellent la « nature », alors même que, depuis toujours, le politique est fait d’enjeux de territoire, de sol, de ressource, de blé, de ville, d’eau ». Selon lui, « la politique est par définition écologique », et non l’inverse. « On fait comme s’il était possible de continuer à se moderniser et que la Terre pouvait le supporter – dénonce-t-il dans les pages Débats de L’Obs. Or il n’y a plus d’espaces ni de ressources correspondant à ce projet politique. Il faudrait cinq ou six Terres comme la nôtre. La conséquence politique que l’on voit à l’œuvre dans la campagne française comme ailleurs sur la planète, c’est le repli sur l’Etat-nation. » Le sociologue fait l’hypothèse que « les membres les plus astucieux des classes dominantes » ont clairement entériné le fait que « la globalisation n’était pas soutenable écologiquement. Mais, au lieu de changer de modèle économique, ils ont décidé de renoncer à l’idée d’un monde commun. D’où, dès les années 1980, des politiques de déréglementations qui ont abouti aux inégalités hallucinantes que l’on connaît aujourd’hui. » Accumuler des richesses pour se retrancher dans un monde protégé : « Un article récent du New Yorker raconte comment des milliardaires se préparent à vivre après la catastrophe » en achetant des terres et en construisant « des abris luxueux dans les trois endroits qui seront le moins impactés par la transformation climatique : la Nouvelle-Zélande, la Terre de Feu et le Kamchatka. » Face à cela les peuples se défendent comme ils peuvent : « Si la globalisation n’est pas notre horizon commun, donnez-nous au moins un canot de sauvetage. » Et le premier canot qui se présente, c’est l’Etat-nation.
Dans ce contexte, Bruno Latour plaide pour la consolidation de l’Europe
C’est notre chance, selon lui : « L’Europe est ce lieu qui a abandonné les rêves impériaux et dépassé l’Etat-nation ». Face aux puissances qui se rêvent aujourd’hui comme des réminiscences impériales – Russie, Chine, Turquie… elle représente « l’expérience la plus avancée du point de vue de l’innovation politique. » Si nous avons su faire l’Europe par le bas – le charbon et l’acier – « Aujourd’hui, il faut refaire l’Europe à partir du sol. Nous avons la chance d’avoir dépassé la question de la souveraineté, nous avons une conscience historique de notre responsabilité, nous avons des territoires inouïs, divers, multiples, nous avons des villes. La patrie européenne est d’une grande puissance mythique et d’une solidité scientifique et écologique rare. Je suis très surpris que les candidats à l’élection présidentielle n’en parlent presque jamais », conclut Bruno Latour.
Quand le gouvernement climato-négationniste de Trump confie à un pétrolier ami de Poutine et PDG d’ExxonMobil le premier rôle diplomatique, la Chine promet le ciel bleu à sa population
« À Pékin, les milliardaires sont désormais maîtres du Parlement, mais ils n’ont pas perdu le sens de l’humour » – raille Fabrice Nicolino dans Charlie Hebdo. Au pays où le peuple règne, sauf 4000 Chinois qui meurent tous les jours de la pollution de l’air, soit au total 1,5 millions et demi par an, et malgré la politique du tout-charbon comme énergie, les édiles ont décrété ce plan idyllique aux accents de Longue Marche dans le brouillard chargé de microparticules. Le fond de l’air est noir, mais une nouvelle révolution culturelle est en marche dans l’Empire du milieu, celle du bleu azur. Lequel n’est jamais si resplendissant que dans le contraste produit par le vagabondage des nuages, en particulier les grands cumulus qui trônent dans le ciel dégagé. Un aimable et anticonformiste auteur, Armand Farrachi, publie aux éditions Corti La tectonique des nuages, un recueil d’essais invitant « au simple usage du monde ». Une semaine chez les ours, en Slovénie, et « quelques jours d’affût suffisent à affiner les sens : on est plus attentif au moindre signe, on entend mieux craquer une branche, on voit plus loin, on devine la présence invisible ». Même s’il n’y aura finalement pas eu de photo, sinon un cliché flouté qui continuera de narguer l’auteur dans quelque album entre le tigre et le rhinocéros, la leçon restera d’un monde sauvage peuplé de fantômes « qui se retournent une dernière fois avant de se dissoudre tout à fait dans un élément qui ne ressemble à rien, pour abandonner à notre rapacité des lieux dont ils sont bannis », désormais livrés au « saccage universel ». Pourtant, rien ne remplace le face-à-face avec un grand animal sauvage, regardé les yeux dans les yeux. « Pour devenir un autre ou pour rester soi-même »… La tectonique mouvante des nuages inspire aussi à Armand Farrachi une méditation vaporeuse sur l’origine des idées. « Quand l’esprit est aimanté par un sujet, les attire-t-il à lui, à moins que ce ne soient elles qui attirent le penseur, ce qui revient au même ? » Comme les aigrettes du pissenlit qui « sèment à tous vents, les grandes idées que personne n’a encore eues flottent peut-être dans l’air ».
Par Jacques Munier
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