Comment ne pas se joindre à la Nuit des idées, 3ème édition ce soir, à laquelle notre chaîne s’est associée ?
Organisée par l'Institut français, la manifestation se déroulera dans toute la France – avec plus de 50 événements dans une centaine de villes – et aussi à travers le monde, avec plus de 150 rencontres dans 70 pays.
L’imagination au pouvoir, c’est le thème choisi cette année, en référence limpide à mai 68 dont c’était l’un des slogans les plus marquants et durables, jusque dans son détournement publicitaire ou politique. Dans Le Monde, Marielle Macé fait le lien entre les 50 ans du joli mois… et les 2 000 ans d'Ovide, l'auteur des Métamorphoses, « le grand poème d'un monde jamais arrêté, toujours neuf, peuplé d'êtres mobiles et changeants, pris dans une course infinie, animés de désirs et d'audaces immenses ». A ses yeux, un anniversaire « éclaire l'autre, le ravive et l'intensifie », d’autant que le poème vient d’être à nouveau traduit par Marie Cosnay (Éditions de l'Ogre). « Un chant – écrit-elle – qui donne la priorité au désir (au désir qui peut tout et qui brave tout), un chant qui enseigne que l'imagination se pratique à même la vie, un chant qui est capable de soutenir en nous l'emportement politique de Mai, son goût des transformations, son attente d'autres façons de vivre, d'autres quotidiens, d'autres liens, ses luttes par amour de la vie et pour l'amour de la vie. » La grande lectrice, auteure d’un livre admirable sur la lecture (Façons de lire, manières d'être, Gallimard, 2011) évoque celle du poème par Luc Boltanski, qui « a eu un jour l'audace d'y entendre une leçon sur la mobilité du social, sur la transformation qui est la substance même du social, et qui est aussi le moteur de la critique. La vie sociale est faite d'arrangements, mais d'arrangements fragiles, contestables, qui pourraient être tout autres. Exercer la critique, sentir que le monde social pourrait et même devrait être différent, s'engager, lutter, c'est percevoir partout l'ouverture de ce tout autre, de ces possibles à même le monde. » Ovide en Mai, à Sivens, à Lampedusa, Calais… « Notre-Dame-des-Landes, les plateaux, les zones humides… nos barricades. » Le poète « nous parle aussi de cette société élargie, de ce " parlement " élargi que les anthropologues appellent désormais de leurs vœux et qui rassemblerait sur la scène politique humains et non-humains, hommes et bêtes, fleuves, pierres, forêts… Dans Les Métamorphoses, on devient laurier, vache, pluie, souche, et c'est ainsi qu'on fait entendre son désir, qu'on invente des liens, des ruses et d'autres façons de se toucher les uns les autres. » Et de réinventer la vie « dans un monde abîmé », comme « un printemps précaire en chacun de nous ». Dans les mêmes pages Débats & analyses du quotidien, Frédéric Worms rappelle qu’ « En mai 1968, les insurgés disaient : " Soyons réalistes, demandons l'impossible. " Il s'agit aujourd'hui d'imaginer une société où pourraient vivre ceux dont les vies sont devenues impossibles. » Mais le philosophe pense aussi « à Camus quand il disait que le pouvoir manque d'imagination »… Jusqu’à menacer la cohésion sociale, estime dans les pages idées de Libération Bernard Lamizet, professeur émérite de sciences de l’information et de la communication à Sciences-Po Lyon et auteur de L’Imaginaire politique (Hermès–Lavoisier, 2012) : « La gestion des impératifs, les contraintes financières ont débouché sur une panne de l’imaginaire politique qui est problématique dans la mesure où on ne peut se passer d’imaginaire : certains vont le chercher dans les discours identitaires ou chez les religieux extrémistes ». Pour Mehdi Ouraoui et Pierre Singaravélou co-auteurs avec Quentin Deluermoz de Pour une histoire des possibles (Seuil, 2016), « la formule présuppose l’existence d’une imagination commune. Or, la mondialisation, le développement rapide de nouveaux modes de communication, de transports, d’information, de même que les facteurs de désagrégation sociale (déclin des églises, syndicats, partis, croissance des zones périurbaines, disparition de la conscience de classe et montée des aspirations individualistes ou communautaires) ont sécrété d’innombrables imaginaires individuels et collectifs, souvent concurrents, et parfois contradictoires. » Les pages Débats & controverses de L’Humanité relaient leur constat d’une dissolution du lien social, le lien qui seul permettrait l’émergence d’aspirations collectives à des « possibles » ou des « futurs non advenus ». Selon eux, « dans ce monde nouveau, la véritable subversion serait non pas d’imaginer une forme inédite de pouvoir, mais donner au pouvoir la fulgurante pluralité d’une imagination par nature composée de la multitude ». Jean-Christophe Bailly, qui publie au Seuil Un arbre en mai, référence à la pratique des arbres de mai sous la Révolution, arbres de la liberté dont le souvenir « se maintient comme un filigrane dans le nom du mois de mai », estime que mai 68 fut d’abord une convergence, « comme si des milliers de petites rigoles avaient abouti au même point, formant un lac d’impatience qui ne pouvait que déborder ». Et dans les pages ouvertes par le quotidien de Jean Jaurès au vent d’autan il martèle que « L’imagination ne veut pas le pouvoir, elle est un pouvoir », l’allégorie de tout geste qui s’émancipe. Un pas de côté, « un pas de deux que chacun ferait avec son voisin (sa voisine) et qui se répercuterait de proche en proche jusqu’au lointain. Exactement comme dans les vols tourbillonnaires des martinets, qui ne tiennent ensemble que parce qu’ils n’ont ni chefs ni guides. »
Par Jacques Munier
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