

Les ministres français des Affaires étrangères et de la Défense se rendent aujourd’hui à Moscou pour rencontrer leurs homologues russes lors d’une réunion du comité consultatif de coopération et de sécurité.
Comme le rappelle Marc Semo dans Le Monde, "il n’y en avait pas eu depuis cinq ans. Cette structure « 2 + 2 » avait été mise sur pied dans les années 1990 pour renforcer les liens, y compris sur le terrain militaire, avec une Russie que l’on pensait alors réellement engagée dans la voie de la démocratie. Elle avait été gelée au printemps 2014 après l’annexion de la Crimée". Jean-Yves Le Drian expliquait ainsi cette volonté de relance du dialogue, le 3 septembre dernier devant l’Association de la presse diplomatique : "La défiance ne sert finalement à personne, même si les raisons qui l’ont alimentée – l’Ukraine, la Syrie, les assassinats à l’arme chimique, les cyberattaques – sont toujours là, et le dialogue se doit donc d’être exigeant". Tenter de le renouer est d’ailleurs un objectif constant pour le président de la République, réaffirmé lors de sa rencontre avec le président russe au fort de Brégançon, le 19 août. Mais il faut pour cela que les intentions soient claires de part et d’autres. Dans les pages idées du Monde, Michel Eltchaninoff et Bruno Tertrais décryptent la diplomatie de Vladimir Poutine et mettent en garde contre l’illusion d’une "nouvelle architecture de sécurité" en Europe. Le philosophe et le politiste relèvent la référence appuyée du président russe à Egon Bahr, qui fut un très proche conseiller du chancelier Willy Brandt et l’un des principaux inspirateurs de l’Ostpolitik, la politique de rapprochement de l’Allemagne fédérale avec la RDA et l’URSS dans les années 1970. « Egon Bahr considérait que la construction européenne était secondaire par rapport à la réunification des deux Allemagnes. Il développa le concept de « système de sécurité européenne » et participa activement à l’élaboration et la signature du traité de Moscou de 1970, accord bilatéral de renonciation à la force. » En reprenant tel quel un plan stratégique soviétique pour une Europe qu’il n’a pas vu changer, Poutine engage bien mal le dialogue. "D’abord, qui voudrait revenir à la géopolitique des XIXe et XXe siècles et à la définition de sphères d’influence en Europe ? Probablement personne, sauf Moscou – où l’on évoque avec nostalgie le pacte Molotov-Ribbentrop d’août 1939, dont l’annexe secrète divisait l’Europe." Par ailleurs, les conditions d’un rapprochement restent nébuleuses.
La Russie a foulé aux pieds les normes communes de comportement en Europe en s’attaquant à la Géorgie et à l’Ukraine, en annexant la Crimée. A Vienne, les représentants russes n’ont de cesse de rogner les prérogatives de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et d’en contester les règles. Comment lui faire confiance pour en respecter de nouvelles ? Michel Eltchaninoff et Bruno Tertrais
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Conclusion : "le projet d’une nouvelle architecture de sécurité européenne est aujourd’hui une chimère au sens propre (un hybride d’obsession soviétique et d’angélisme occidental) et figuré (un objectif hors d’atteinte)". Michel Eltchaninoff et Bruno Tertrais évoquent un autre chantier, "plus fécond : la stabilité stratégique sur le continent, au vu des nouveaux déploiements de missiles russes et des réponses occidentales possibles."
Détente en Ukraine ?
Il est vrai que la Russie semble avoir amorcé un processus de détente en Ukraine, avec le récent échange de prisonniers de part et d’autre. Parmi eux, côté ukrainien, figure le cinéaste Oleg Sentsov, accusé de « terrorisme » et de trafic d’armes par la justice russe qui l’avait condamné à vingt ans de camp en Russie. Comme le rappelle The Moscow Times, journal indépendant lancé en 1992 pour la communauté étrangère russe, et relayé par Courrier international, "Oleg Sentsov a chèrement payé son engagement politique lors du soulèvement pro-européen du Maïdan à Kiev à l’hiver 2014. Peu après, il avait également déclaré qu’il n’acceptait pas l’annexion de la Crimée par Moscou." En 2018, le Parlement européen lui a décerné le prix Sakharov “pour la liberté de l’esprit.” En mai de la même année, Oleg Sentsov avait entamé une grève de la faim qu’il a interrompue au bout de 145 jours. Mais parmi les prisonniers relâchés par l’Ukraine figure Volodymyr Tsemakh, un chef militaire des séparatistes pro-russes de l’est du pays, le témoin-clé et principal suspect dans le crash du vol MH17, abattu par un missile russe il y a cinq ans. Le Point cite les regrets du porte-parole pour le groupe d’enquête néerlandais : "Nous aurions voulu qu’il soit disponible pour l’enquête".
Dans Les Echos, Dominique Moïsi se demande si l’on peut raisonnablement continuer à isoler la Russie "alors même qu’elle est incontournable sur de nombreux dossiers, de l’Ukraine à la Syrie ? Mais peut-on aussi, en se rapprochant d’elle – comme le souhaite le président Macron – faire comme si elle ne cherchait pas de manière systématique à intervenir dans nos processus démocratiques ?"
Et dans cette guerre d’influence sur les valeurs, il s’agit aussi de ne pas en rabattre sur les nôtres en faisant semblant d’ignorer l’existence d’une société civile qui demande à être écoutée en Russie.
Par Jacques Munier
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