Avec les dernières sorties d’Éric Zemmour ou de Yann Moix et leur reprise en boucle par les médias, on semble avoir passé un seuil dans la surenchère des petites phrases provocatrices.
Alors que le niveau de violence verbale augmente, celui de la tolérance du public a tendance à baisser, observe Isabelle Veyrat-Masson dans la page Débats de La Croix. Ceci expliquant sans doute en partie cela, et inversement, l’historienne et sociologue des médias ajoute que « l’information s’est toujours nourrie de la répétition, voire du ressassement. C’est la fameuse circulation circulaire de Pierre Bourdieu ou le plaisir de la répétition analysé par Walter Benjamin », une tendance naturelle amplifiée par « la multiplication des chaînes et autres canaux d’information en continu ». La compétition effrénée pour l’audience dans la sphère médiatique encourage la polarisation du débat autour d’opinions tranchées, expéditives et sommaires, elle ne favorise pas l’expression de « la pensée nuancée, complexe, troublante… » La spécialiste de la communication politique estime que « c’est aussi le mal d’une société en crise de confiance, où l’on ne croit plus ni à l’objectivité des journalistes, ni à la sincérité des hommes politiques, ni, parfois, à la compétence des institutions… Cette perte de confiance pourrait favoriser l’esprit critique, mais elle s’avère inquiétante quand elle alimente les théories du complot. » L’accoutumance aux « excès et, plus encore, la manière dont l’information évolue vers le spectacle, non sans une dimension trash », risque de devenir à terme délétère. « D’où l’importance de la culture et de la connaissance de l’histoire pour interpréter, de manière fine et éclairée, l’avalanche médiatique que nous subissons jour après jour » conclut celle qui est aussi l’une des rédactrices en chef de la revue Le Temps des Médias. Sa dernière livraison porte justement sur La fausse information de la Gazette à Twitter. Laurent Bigot s’y arrête sur la pratique du fact-checking, la vérification des infos, et il pointe « l’ambivalence des médias face aux fausses informations », qu’ils peuvent pourtant contribuer à divulguer, ce qui ramène parfois leurs efforts à un effet d’affichage. Un paradoxe qui « trouve une explication dans l’histoire du fact-checking, né aux États-Unis dans les années 1920 et dont la version moderne procède d’une réinvention, voire d’une adaptation aux contraintes économiques et éditoriales auxquelles sont aujourd’hui soumis les médias », qui aurait transformé en « stratégie de vérification ostentatoire » cette volonté de mise à l’épreuve des faits. De façon significative, les rubriques Désintox de Libération, Les décodeurs du Monde.fr, Le Vrai du Faux de nos confrères de France info ou d’autres, s’emploient principalement à débusquer les inexactitudes ou les mensonges des politiques, rarement ceux des médias, réputés se contenter de divulguer les infos et les propos. Camille Alloing et Nicolas Vanderbiest s’attaquent à la fabrique des rumeurs numériques, notamment sur Twitter. Un réseau qui « n’est pas seulement un moyen de produire de la fausse information, mais de la mettre en mouvement ». Ils étudient, à partir de l’étude de rumeurs apparues suite aux attentats du 14 juillet 2016 à Nice en France, la manière dont ce dispositif favorise la circulation de ces rumeurs autant que leur démenti. Celle d’une prise d’otages à l’hôtel Negresco aurait pour origine un journaliste de BFM TV, et celle de l’hôtel Méridien viendrait de témoignages recueillis par la chaîne d’information LCI. « Il n’y a (…) aucun fait qui puisse servir de point de départ ou d’appui à la rumeur », observait déjà Edgar Morin à propos de La Rumeur d’Orléans. C’est donc le bruit qu’elle produit et les instruments de sa diffusion qui intéressent ici les chercheurs. La revue Questions de communication publie un dossier sur le genre des controverses. Il s’agit d’analyser le rôle joué par la délibération politique et les débats médiatiques « dans la reproduction des rapports et des identités de genre », de position sociale ou de race. Nelly Quemener insiste sur la dimension affective, qui opère comme « un processus social auto-réalisateur ». Elle étudie la place des émotions dans les rapports de pouvoir en mettant en évidence « des logiques d’intensification » dans la mise en scène des débats télévisés. Logique « performative » qui incite à réagir et légitime en retour les réactions qu’elle suscite. Les sciences de l’information et de la communication empruntent en l’occurrence aux gender et cultural studies pour éclairer le « dispositif de débat télévisé » qui assigne chacun à son identité tout en jouant de la symbolique de la démocratie : la diffusion de l’information, la libre expression, la confrontation des différentes opinions. S’ajoute aujourd’hui à cette scénographie l’écho répercuté Par les réseaux sociaux, augmenté des innombrables traces des actions subreptices mais enregistrées des internautes – likes, commentaires, nombre de vues… Le tout créant un « effet de vérité » stochastique dans une co-construction aléatoire du sens qui, au final, efface les structures asymétriques des systèmes d’oppression.
Par Jacques Munier
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