Farce tragique au Capitole

"Le pouvoir grotesque c’est la continuation de la politique discréditée par d’autres moyens" C. Salmon
"Le pouvoir grotesque c’est la continuation de la politique discréditée par d’autres moyens" C. Salmon ©AFP
"Le pouvoir grotesque c’est la continuation de la politique discréditée par d’autres moyens" C. Salmon ©AFP
"Le pouvoir grotesque c’est la continuation de la politique discréditée par d’autres moyens" C. Salmon ©AFP
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Après la sidération, l’assaut du Capitole par des partisans fanatisés du président sortant suscite de nombreux commentaires et a déclenché une enquête du FBI.

Plusieurs arrestations ont déjà eu lieu, dont celle de l’individu qui paradait dans le bureau de la présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi. Ou encore celle d’un homme soupçonné d'avoir déposé une bombe artisanale près du Congrès. Et l’enquête se poursuit, y compris sur la responsabilité de Donald Trump. Mais c’est politiquement que la déflagration a produit son effet de souffle le plus puissant.

Dans une capitale fédérale où poussent les barrières de protection, le président sortant est désormais emmuré et la Maison Blanche transformée en cellule de dégrisement. (Gilles Paris dans Le Monde)

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« Donald Trump, qui promettait la restauration de la grandeur de l’Amérique, a orchestré sa pire humiliation - ajoute-t-il. Le champion autoproclamé de « la loi et l’ordre » a excité une meute disparate au point qu’elle lance un assaut responsable de la mort de cinq personnes dans le saint des saints de la démocratie américaine. » Quant aux slogans lancés par les manifestants, ils sont clairement racistes, relève Esther Cyna dans Libération. « Ici, c’est chez nous, vous travaillez pour nous » (« This is our house, you work for us ») hurlent les suprémacistes blancs pro-Trump. L’accent que ce slogan met sur la possession (« notre maison ») et l’identité des insurgés trahissent immédiatement leur message : ce pays est un pays fait pour les Blancs, et qui sert leurs intérêts. » La doctorante en civilisation américaine à l’université de Columbia et enseignante à Paris-I fait le parallèle avec des événements de 1898 à Wilmington, en Caroline du Nord, où « une milice de suprémacistes blancs renversa le gouvernement municipal lors d’un carnage meurtrier faisant suite à̀ une longue campagne raciste dans l’État ». À l’époque, après la guerre de Sécession, des Afro-Américains avaient pu accéder à des postes importants et se faire élire. « La violence suprémaciste blanche du massacre de 1898 visait à mater cette marche vers l’égalité et la justice. » Aujourd’hui, « Joe Biden choisit un gouvernement plus divers que jamais » : Kamala Harris, une femme noire d’origine indienne, comme vice-présidente à ses côtés, Deb Haaland, une femme amérindienne, bientôt à la tête du département de l’Intérieur et Lloyd Austin, un homme noir, à la Défense. 

La chute finale

Contrairement aux affirmations de Joe Biden face à l’occupation du Capitole : « ceci n’est pas le vrai visage de l’Amérique », les « images délirantes où le burlesque croisait le tragique et la vulgarité mimait l’historique, représentaient bien une certaine Amérique à laquelle le nouveau président élu va très vite se confronter », souligne Christian Salmon sur le site AOC. Pour l’auteur de La Tyrannie des bouffons (Les Liens qui libèrent), « avec Trump il ne s’agit plus de gouverner à l’intérieur du cadre démocratique, selon ses lois, ses normes, ses rituels, mais de spéculer à la baisse sur son discrédit. Son pari paradoxal consiste à asseoir la crédibilité de son « discours » sur le discrédit du « système », à spéculer à la baisse sur le discrédit général et à en aggraver les effets ».

Le pouvoir grotesque c’est la continuation de la politique discréditée par d’autres moyens. Comment incarner un pouvoir politique basé sur le discrédit sinon en mettant en scène un pouvoir sans limite, débridé, qui déborde les attributs de la fonction et les rituels de légitimation.

« Il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne », disaient les Romains pour évoquer la fragilité du pouvoir et la menace de ce promontoire voisin d’où les condamnés à mort étaient précipités. « Trump, comme Néron en son temps, a semblé regarder Rome brûler, ou plus modestement le Capitole, comme fasciné par son pouvoir sur des émeutiers fanatisés par lui. » Pour Dominique Moïsi dans Les Échos, l’événement « traduit la fragilité de nos systèmes démocratiques ». Car ce « baroud d’honneur - le mot de déshonneur serait plus approprié » pourrait bien constituer un précédent ou un coup d’essai, « l’équivalent de ce que fut pour Hitler - toutes proportions gardées - le putsch de Munich en novembre 1923 : un échec cuisant mais aussi un mythe fondateur pour le parti nazi » rappelle-t-il. Non sans relever aussi que dans l’élection du lendemain, en Géorgie, des représentants au Sénat, « pour la première fois dans l’histoire, le nombre des votants a été supérieur à celui du premier tour », envoyant deux démocrates à la Chambre haute, dont un homme noir. Du coup, en quatre ans de présidence Trump, le Parti républicain a « tout perdu, de la Maison-Blanche au Sénat ».

Par Jacques Munier

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