

A la veille de la grève scolaire mondiale du 15 mars, on s’arrête sur la mobilisation des jeunes pour le climat.
Elle est à la une de l’hebdomadaire Les Inrockuptibles. Gérard Amicel, auteur de Que reste-t-il de l’avenir ? (Editions Apogée), estime que le mouvement des jeunes pour le climat amorce une sortie du présentisme et ouvre à nouveau un horizon d’attente. Après la faillite de l’idéologie du progrès, « le présentisme est l’idée selon laquelle, puisqu’il n’y a plus de progrès ni d’avenir radieux, il faut vivre le plus intensément et le plus vite possible, maintenant » dans « une sorte de surenchère de l’urgence : sociale, économique, terroriste… Les jeunes qui se mobilisent pour le climat reprochent à leurs parents d’avoir trop pensé au présent, alors qu’eux pensent à l’avenir. »
L’effet Larsen
Le philosophe évoque la notion d’horizon dans la phénoménologie de Husserl : « cette ligne qui limite notre regard, mais derrière laquelle on pouvait imaginer d’autres paysages ». Il estime « qu’aujourd’hui elle ne peut plus illustrer notre rapport à l’avenir, car nous passons notre temps à l’anticiper » et il lui préfère la métaphore acoustique de l’effet Larsen : « l’horizon stagnant du catastrophisme donne à la temporalité la forme d’une boucle, qui provoque une augmentation progressive de l’intensité du signal. Des lanceurs d’alertes nous mettent en garde sans arrêt, tiennent des discours apocalyptiques qui s’ajoutent aux nombreuses inquiétudes actuelles… Plus on anticipe, plus on se fait peur, plus on veut aller vite. » D’où un « état de sidération, un sentiment d’urgence permanent » : c’est « le sifflement de plus en plus strident du larsen ». Face à cela, « il faut rompre avec la conception linéaire du temps qui est caractéristique de l’idéologie du progrès ».
S’enforester
Dans les pages idées de Libération, Marielle Macé évoque le beau livre d’Arthur Lochman, qui « fait dans La vie solide (Payot) le récit de son apprentissage d’un métier tout en force physique, mais aussi en écoute subtile des propriétés du bois et des gestes qu’il autorise », le métier de charpentier. « La charpente est devenue pour lui une éthique, une clé pour s’orienter dans l’époque. Il y a gagné un autre corps, d’autres impératifs, d’autres mots, (« le cœur au soleil »), d’autres façons de se relier aux autres et au temps, mais aussi de penser. » Tout comme Jean-Baptiste Vidalou, philosophe et bâtisseur en pierres sèches : « une intelligence matérielle irrigue aussi de part en part l’essai qu’il consacre aux luttes actuelles ». C’est ce qu’il appelle « être forêts »…
Etre forêts ce n’est pas se prendre pour un arbre, c’est suivre la piste de cet événement vertical qu’est une forêt. Pas seulement respecter la nature, voir dans la forêt une réserve de biodiversité, mais y reconnaître une idée, une pensée à entendre.
« S’enforester » dirait Baptiste Morizot, philosophe-et-pisteur-de loups, qui s’engage quant à lui sur la piste animale. « On doit entendre dans ces livres mieux qu’un dialogue de la philosophie avec elle-même, avec sa nostalgie du concret – souligne Marielle Macé. D’abord la soif, si actuelle, d’un vivre autrement : se relier autrement aux autres, renouer avec le monde naturel, bâtir, installer quelque part ce que l’on a rêvé… » Faire des cabanes pour occuper le terrain et « jardiner les possibles », pas « pour prendre place, se faire une petite place là où ça ne gênerait pas trop, mais pour accuser ce monde de places – de places faites, de places refusées, de places prises ou à prendre », écrit-elle aussi dans un livre qui vient de paraître chez Verdier : Nos cabanes. De quoi nourrir l’imaginaire des jeunes…
« Nous sommes la nature qui se défend »
Dans l’hebdomadaire Le 1, qui titre cette semaine « Peuvent-ils sauver la terre ? », Camille Lichère, 20 ans, étudiante en mathématiques, revendique une approche philosophique de l’écologie : « On écrit souvent sur nos pancartes que nous ne défendons pas la nature : nous sommes la nature qui se défend. » Laurent Greilsamer revient dans l’édito sur la grève mondiale du 15 mars.
Les jeunes lycéens et étudiants qui appellent à la grève scolaire court-circuitent purement et simplement le niveau national en intervenant au plan mondial.
Et Anne Muxel le souligne : « Ils font fi des stratégies nationales, des questions qui bloquent les États dans leur prise de décision. Ils s’adressent finalement à une sorte de gouvernement global. » La sociologue rappelle les derniers sondages pour les élections européennes : la liste Europe Écologie-Les Verts séduirait 16 % des 18-24 ans, contre 8 à 9 % pour l’ensemble de la population. La dernière livraison de la revue Mots. Les langages du politique (ENS Éditions) est consacrée aux mots de l’écologie. De ceux qu’on peut lire sur les pancartes des manifestants à ceux qui s’engagent à « réoutiller la société » en concepts mobilisateurs. Guillaume Carbou étudie la tradition d’un certain romantisme révolutionnaire, « critique du consumérisme et du productivisme », illustré par des auteurs comme l’américain Thoreau, Ivan Illich, André Gorz ou Arne Naess. Ces critiques ne sont pas rétrogrades – résume-t-il – « elles plaident, selon l’expression d’Henri Lefebvre, non pour un retour, mais pour un détour par le passé pour inventer un monde meilleur ».
Par Jacques Munier
L'équipe
- Production