

Cent ans après le retour de Georges Clemenceau à la présidence du Conseil on s’apprête à célébrer le Père la Victoire de la Grande Guerre.
C’était le 16 novembre 1917, après la chute du gouvernement Painlevé. _Le Figaro_croit savoir que le chef de l'Etat se rendra dans l'ancien appartement parisien du « Tigre », devenu le musée Clemenceau, pour commémorer le 11 novembre. Comme le rappelle Michel Winock dans sa biographie parue chez Perrin en édition augmentée, et dont L’Express publie les bonnes feuilles, « L’année 1917, on hésite à écrire qu’elle fut l’année terrible de la Grande Guerre, ce qui supposerait que les autres aient été moins lourdes de douleur et de désolation, mais pour la France elle fut sans conteste la grande année du doute. » L’offensive ratée du Chemin des Dames – 200 000 morts – les mutineries, « une désespérance généralisée, et quand ce n’était pas la révolte, la résignation à la défaite émergeait d’un mouvement de fond résumable à une question qui était sur toutes les lèvres : à quoi bon tous ces morts ? » Clémenceau, qui n’a cessé de multiplier ses visites au front, gagnant le respect des poilus, apparaît alors comme le « suprême recours », et fait ainsi son entrée dans la mémoire nationale comme « l’homme au quatre têtes – résume l’historien – tour à tour ou tout à la fois le Tigre, le dreyfusard, le premier flic de France, le Père la Victoire ». Le Tigre, surnom donné par son ami Emile Buré, « s’applique au tombeur de ministères, au député implacable dont les discours griffent » : pas moins de sept volumes pour réunir ses articles « qui sont autant de flèches contre le mensonge et la lâcheté ». Les brigades du même nom, ancêtres de l’actuelle police judiciaire, ont été créées en 1907 par « le premier flic de France », comme se désignait alors lui-même le Président du Conseil et ministre de l'intérieur, lequel n’avait pas hésité en son temps à réclamer l'amnistie pour les Communards. Il n’aura fallu rien moins qu’une nouvelle revue pour étudier toutes les facettes de la pensée et l’action de cette figure emblématique d’une période si dense et mouvementée de notre République. L’année Clemenceau – c’est son nom – publie sa première livraison à CNRS Editions, avec des inédits et notamment une longue lettre d’Auguste Blanqui à celui qui s’était opposé au projet d’amnistie sélective proposé en février 1879 par le conseil des ministres, excluant – je cite « des personnalités elles-mêmes de la société au milieu de laquelle elles prétendent vivre et qu’elles veulent détruire ». Les élections législatives approchent et Blanqui est particulièrement visé. À la chambre, Clemenceau avait pris la parole pour le défendre. « Tout d’abord je vous serre énergiquement les deux mains – écrit l’Enfermé – à votre descente de la tribune le 21 février, l’un de vos plus beaux jours de triomphe et l’un aussi de mes meilleurs jours de chance, chance peut-être sans lendemain, qui ne m’en laisse pas moins votre débiteur. »
Clemenceau aurait-il pu arrêter la guerre avant 1918 ? La question est posée par Jean-Jacques Becker
On aime l’uchronie aujourd’hui et il est vrai que la question permet d’éclairer l’état des opinions publiques et des rapports de force à l’époque. Malgré de grandes grèves, l’Allemagne est dominée par un puissant courant nationaliste et « entre les mains d’un pouvoir militaire opposé à tout compromis ». L’opinion française était sans doute mieux disposée à cet égard, mais Clemenceau n’avait pas été appelé pour faire la paix mais pour gagner la guerre. Au passage Jean-Jacques Becker relève que les nombreuses grèves dans les pays belligérants, notamment dans les usines de guerre, n’étaient pas considérées comme une atteinte au moral de la nation : « c’était simplement l’idée répandue chez les ouvriers que le patriotisme ne supposait pas d’être exploité par un patronat qui faisait, lui, d’immenses profits ». L’opinion britannique, largement ignorante du danger couru par le risque d’asphyxie du pays du fait de la guerre sous-marine, ne se posait pas la question, malgré, là aussi, de nombreuses grèves. L’Autriche-Hongrie était à bout de forces mais la fin de la guerre sur le front russe la remet en selle. Dans ce contexte global, Clemenceau affirme haut et fort qu’il est là pour faire la guerre « intégrale » : « Ces Français que nous fûmes contraints de jeter dans la bataille, ils ont des droits sur nous – affirme-t-il devant les députés les 20 novembre 1917. Ils veulent qu’aucune de nos pensées ne se détourne d’eux. » Ce sera donc « la guerre. Rien que la guerre »… Et il termine sa déclaration devant la représentation nationale par une envolée devenue célèbre : « Un jour, de Paris aux plus humbles villages, des rafales d’acclamations accueilleront nos étendards vainqueurs, tordus dans le sang, dans les larmes, déchirés des obus, magnifique apparition de nos grands morts. » Ce moment viendra après la contre-offensive du 18 juillet 1918, qui fut décisive. Et pour l’historien, deux aspects essentiels de l’engagement de Clemenceau resteront dans la mémoire : sa volonté d’aller sur le front, souvent en première ligne. « Entre le 1er janvier 1918 et l’armistice, sur 297 jours, il lui en consacra 90. » Et son interventionnisme sur le plan militaire et stratégique : « Pour Clemenceau, il n’y a pas un pouvoir militaire et un pouvoir civil, il n’y a qu’un seul pouvoir, celui du chef du gouvernement. »
Par Jacques Munier
L'équipe
- Production