Nawal el-Saadawi, écrivaine et féministe égyptienne, est décédée le 21 mars. Elle était la voix et le visage de la lutte pour l’émancipation des femmes dans le monde arabe.
Fawzia Zouari, écrivaine et journaliste franco-tunisienne, lui rend hommage dans Libération. Elle était « notre Simone de Beauvoir à nous ».
Il n’y avait pas une occasion, une rencontre, un débat où elle ne nous poussait à dénoncer le patriarcat, l’inégalité, l’assignation au silence, la soumission à la charia. Elle nous faisait part de ses recherches sur le terrain, acceptait de marrainer nos associations et s’enrôlait volontiers dans nos comités engagés dans le combat civil.
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Psychiatre et psychanalyste, ses premiers textes consacrés à la sexualité féminine font scandale. Publié en 1969, La femme et le sexe, sera traduit en français en 2017 et paraît à L’Harmattan. Par ailleurs, elle « proclame son opposition farouche au port du voile, à la polygamie, à l’inégalité dans l’héritage ». Opposée au système du parti unique sous le président Anouar el-Sadate, elle passera quelques mois sous les verrous, une expérience qu’elle raconte dans Mémoires de la prison des femmes – « rédigé sur un rouleau de papier toilette, avec un crayon à sourcils ». Condamnée à mort par les islamistes, obligée de s’exiler de son pays à plusieurs reprises, elle sera également attaquée par l’institution religieuse Al-Azhar, en 2007, pour atteinte à l’islam. Fawzia Zouari l’estime « digne descendante de sa compatriote Hoda Chaaraoui, la première féministe musulmane qui, en 1923, dans la rade d’Alexandrie, avait jeté son foulard à la mer en un geste symbolique ». Et l’écrivaine franco-tunisienne ajoute que « l’annonce de sa mort a été accueillie par des cris de joie dans les rangs des Frères musulmans ».
La femme et le diable
« Sur les réseaux sociaux, des conservateurs, islamistes ou machistes, déversèrent leur haine irrationnelle » renchérit Kamel Daoud dans Le Point. Il évoque les deux chapelles du « féminisme islamiste » : en terre d’islam pour dénoncer les « débauchées » qui se révoltent contre Dieu et leur père ; en Occident, celle des « voix indigénistes et identitaires pour lutter contre le dévoilement et la libération », en se proclamant « d’un pays et d’une culture d’origine », sans avoir mis « les pieds dans le pays fantasmé », ni partagé le labeur ou la misère des femmes qu’elles prétendent représenter.
Certaines croyant que le seul moyen de sortir d’une prison, c’est de s’en faire les gardiennes.
L’écrivain souligne que la journée du 8 mars, des femmes ont manifesté à Alger. Les revendications portaient sur le « changement », la chute du régime, le « pouvoir civil et non militaire » mais, curieusement, si peu sur les droits des femmes.
Dans la foule habilement dirigée par des voix off, le carré féministe était bien petit, bien isolé et très vite chassé de l’endroit.
Les éditions Allia viennent de rééditer La Condition de la femme dans l’islam, un livre de 1913 dû au sociologue égyptien Mansour Fahmy. À l’origine, il s’agit d’une thèse soutenue à la Sorbonne sous la direction de Lucien Lévy-Bruhl et qui valut à son auteur d’être interdit d’enseignement dans son pays. Dans son avant-propos, Mohammed Harbi rappelle que la Charte d’Alger, en 1964, développait « une conception du rôle des femmes digne des jurisconsultes rétrogrades ». L’historien, ancien membre du FLN, ajoute que « ni Nasser, ni le Baas n’ont osé rien entreprendre en faveur des femmes ». Et il rattache le travail très documenté de Mansour Fahmy à celui des premiers « scribes » de la tradition rationaliste de l’islam, qui « n’ont pas hésité à traiter certains compagnons du prophète avec une sévérité qui ferait pâlir les musulmans d’aujourd’hui ». L’un des sujets de Mansour Fahmy concerne la pratique de la réclusion des femmes et le port du voile. Et il constate lui aussi, par rapport aux premiers temps de l’islam, « une diminution considérable de la liberté des femmes » à des époques plus récentes. En examinant le texte coranique, et notamment les versets du chapitre 32 invoqués pour imposer le port du voile, il relève qu’il concerne uniquement les épouses du prophète et « ne contient aucune prescription générale ». Pour lui, c’est dans la société musulmane de l’époque qu’il faut chercher l’origine de ces pratiques : elles ont pour but de distinguer les femmes musulmanes « des esclaves ou des femmes de classes inférieures, lesquelles sortent sans rien mettre par-dessus leurs vêtements domestiques ». Une sorte d’effet de mode, en somme.
Le prestige du voile devint bientôt général dans les hautes classes de la société musulmane.
Et c’est « l’idée d’une immutabilité sacrée » de l’islam qui a abouti à ralentir « la marche de l’évolution morale ».
Par Jacques Munier
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