

Fusillade, homophobie, terrorisme : après la tuerie d’Orlando, les décodeurs du site LeMonde.fr insistent sur l’importance des mots
Pour Adrien Sénécat et Violaine Morin « la reconnaissance des victimes passe aussi par le choix des mots ». Nicolas Martin relevait hier dans sa revue de presse l’absence de référence à la communauté homosexuelle dans nos quotidiens, qu’il dénonçait comme une contribution malvenue à l’invisibilisation de cette communauté. Les mots, leur absence ou leur usage détourné, sont des armes de basse intensité à l’efficacité redoutable. Nous les dénommés prescripteurs d’opinion, devons prendre garde à employer les mots justes, dans tous les sens du terme juste. Tuerie, par exemple : le FBI parle de tuerie de masse à partir de quatre victimes, le chiffre semble faible, la réalité beaucoup moins. Et la qualification de « crime raciste et/ou homophobe » ou bien d’« acte terroriste », revêt un sens particulier pour les minorités, comme ce fut le cas à Charleston, en Caroline du Sud, en juin 2015, lorsque le suprémaciste blanc Dylan Roof a ouvert le feu dans une église fréquentée par des Afro-Américains. Pour la communauté LGBT, l’enjeu est en l’occurrence d’ajouter l’événement à la longue liste des attaques contre des boîtes de nuit gays depuis les années 1970.
Dans Le Figaro Renaud Girard adopte l’angle géopolitique pour évoquer le défi d’une guerre asymétrique contre l’Occident
Le spécialiste du Moyen-Orient revient sur les reculs de l’État islamique sur tous les fronts militaires pour souligner cette « revanche sur le terrain médiatique, qui est stratégiquement au moins aussi important ». Dans son texte de revendication, opportuniste ou réelle, l’organisation emploie le mot ghazwa, pour désigner l’attentat. Le terme n’est pas neutre, il est même lourd de sens. Dans la tradition islamique, il signifie « une attaque à laquelle le prophète Mahomet a participé personnellement. Après le 7ème siècle, une ghazwa a désigné, plus largement, toute attaque aboutissant à une extension du domaine de l’islam ». « Dans le village global, télévisé ou numérisé, ce message d’une violence inouïe a été porté vers des milliards d’hommes et de femmes. Là est le succès de Daesh » commente le journaliste, qui insiste sur une guerre asymétrique où « l’adversaire n’est pas sensible au langage rationnel de la dissuasion » car « il obéit à Dieu, pas à la raison. »
C’est aussi le sens de l’édito de Jacques Hubert-Rodier dans Les Échos
« Face à la barbarie, la force tranquille de la raison ne triomphe pas toujours. » D’autant que le geste du terroriste « intervient à un moment où l’Amérique n’est plus l’hyperpuissance, sûre d’elle-même – ajoute-t-il. Dans un pays en pleine campagne électorale doutant de lui-même, il relance le discours le plus sécuritaire possible : celui de Donald Trump ». Mais là est sans aucun doute l’intention des djihadistes : semer la division et la guerre civile en renforçant les extrémistes. Tout comme pour les chalands et les flâneurs parisiens, la meilleure réponse est sans doute la nonchalance désinvolte qui ramène aux terrasses, aux boulevards et aux lieux de sociabilité minoritaires, gays ou lesbiens. Mais comme le relève, la correspondante du Monde à San Francisco : Après Orlando, la communauté gay des Etats-Unis craint de nouveau la violence. Corine Lesnes évoque « La Gay Pride annuelle de San Francisco – l’une des plus fréquentées du monde » dont la date est fixée au 26 juin. « Plus d’1 million de personnes sont attendues. Dès dimanche, les organisateurs ont rencontré les responsables de la police et du département de la sécurité intérieure pour renforcer le dispositif de vigilance. En s’attaquant à une boîte de nuit comme le Pulse d’Orlando, le terroriste a aussi frappé ce qui a toujours été un refuge pour les homosexuels, loin des jugements réprobateurs de la société : les night-clubs, décrits sur Facebook par le chroniqueur Paul Raushenbush comme « ces endroits où nous pouvions aimer et être aimés pour nous-mêmes et ce que nous voulions être ». Dans la dernière livraison de la revue Tracés, qui propose un dossier sur l’expérience minoritaire, Colin Giraud a mené l’enquête sur La vie homosexuelle à l’écart de la visibilité urbaine, là où les couples sont astreints à une certaine discrétion et ne disposent pas de lieux de sociabilité pour se retrouver. Comme aux Etats-Unis, une dynamique sociale et culturelle de retour vers le rural existe en France dans la communauté homosexuelle. L’ethnologue décrit les mille et une manières pour ces couples parfois isolés, de jouer de ces contraintes et de se forger des ressources. Dans ce monde rural, « loin des grandes villes, mais aussi des stéréotypes du secret, de la solitude et de l’oppression quotidienne, ce sont bien d’autres manières d’être gay qui se construisent aujourd’hui. »
Par Jacques Munier
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