Humanisme du soin

Action symbolique des urgentistes en grève devant l'APHP, 23/04/2019
Action symbolique des urgentistes en grève devant l'APHP, 23/04/2019 ©Maxppp - L. Nobout
Action symbolique des urgentistes en grève devant l'APHP, 23/04/2019 ©Maxppp - L. Nobout
Action symbolique des urgentistes en grève devant l'APHP, 23/04/2019 ©Maxppp - L. Nobout
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Alors que la grève des urgences s’étend, les personnels soignants se sont réunis ce samedi à Paris pour faire le point sur leur mouvement.

« C’est une grève qui s’étend à bas bruit, dans l’indifférence du gouvernement » – note Caroline Coq-Chodorge dans Mediapart. Alors qu’elle dure depuis plus de deux mois, les médecins appellent à leur tour à un débrayage. À la Bourse du travail, « l’assemblée générale a débuté par les témoignages des différents services. Ils se ressemblent, apportant tous le même écho d’un système de santé au bord de la rupture ». Isolé, peu relayé dans les médias, peu visible car la plupart des grévistes sont réquisitionnés pour assurer la continuité des soins, le mouvement fait l’épreuve de ses limites, conduisant « au mieux, à quelques renforts d’effectifs, toujours pris sur les autres services de l’hôpital ». Le collectif de paramédicaux appelle à une manifestation nationale mercredi 6 juin et il a adopté une motion qui reprend leurs revendications, notamment la réouverture des lits d’hospitalisation, car l’engorgement des urgences provient souvent du manque de places en aval dans les services. 

Tous les hôpitaux sont engagés dans un mouvement sans précédent de fermeture de lits, dans le but d’atteindre un taux d’occupation optimal et absurde, car incompatible avec une activité aussi aléatoire.

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Le mouvement est en train de s’élargir aux médecins, comme à Saint-Nazaire : « Certaines soirées, on a 140 patients aux urgences, pour quatre médecins, cela me donne le vertige », témoigne Florian Vivrel, médecin qui partage son activité entre les urgences de Nantes et de Saint-Nazaire.

Réhumaniser le soin

La dernière livraison de la revue Pratiques – Les cahiers de la médecine utopique – publie un dossier intitulé Réhumaniser le soin en psychiatrie et ailleurs. Question cruciale à l’heure où la loi santé est discutée au Parlement… « Partant du constat d’un système de santé en crise du fait du vieillissement de la population et de l’explosion des pathologies chroniques » le projet présenté par l’exécutif « a trouvé la solution pour faire des économies : amplifier le virage ambulatoire, aller-retour hôpital dans la journée ! » L’édito dénonce « la destruction de pans entiers de la psychiatrie, mais aussi la transformation des lieux de soin en systèmes de réparation organique ambulatoire, sans accompagnement ni suivi sérieux », provoquant « la démobilisation, voire la démission des professionnels les plus engagés ». Toutes les contributions de psychiatres, médecins généralistes, aides-soignants témoignent dans ce dossier de la disqualification du temps consacré à l’écoute et de « la volonté de cantonner les soignants à des actes techniques tendant à les déposséder de leur capacité à inventer face aux situations du quotidien ». Ils en appellent à la nécessité « de retrouver l’essence même du soin » dans ce lieu de « repli ultime » qu’est l’hôpital.

« Retrouver l’essence même du soin »

C’est à cela que s’emploie Cynthia Fleury dans un opuscule de la collection Tracts chez Gallimard : Le soin est un humanisme. Elle y évoque aussi « cette vision capacitaire et imaginative du soin », liée à une approche du malade comme sujet. La philosophe et psychanalyste, qui a créé une chaire de philosophie à l’hôpital, estime que « les facultés de médecine et la formation continue des professionnels donnent encore trop peu de place à l’enseignement des humanités », et que « la sollicitude, la prudence, la réflexion éthique… ne sont pas des suppléments d’âme mais des facultés humaines, comportementales, psychiques et psychosociales à développer chez les soignants pour leur permettre d’être plus efficaces dans le soin des patients. » Soulignant que « la vulnérabilité est liée à l’autonomie », qu’il convient de travailler à la rendre « la moins irréversible possible », elle cite L’Existentialisme est un humanisme, de Sartre : « quand nous disons que l’homme est responsable de lui-même, nous ne voulons pas dire que l’homme est responsable de sa stricte individualité, mais qu’il est responsable de tous les hommes ».

« Morts ou vifs »

« Morts ou vifs », ajoute la revue L’autre, revue de la clinique transculturelle, dans un dossier sur le soin apporté aux défunts par les vivants. Du génocide cambodgien aux leçons de la préhistoire en passant par les Gitans d’Andalousie, il explore les relations imaginaires et rituelles qui les relient dans le deuil. Anna Cognet évoque un cas douloureusement actuel : « quelles funérailles pour les migrants morts en mer ? » Comme une belle illustration de la responsabilité des humains envers tous leurs autres semblables, les initiatives se multiplient, comme dans le village italien de Tarsia, pour créer un cimetière international pour les migrants, de manière, ainsi que l’a déclaré son maire Roberto Amerusa, à « leur donner de la dignité, au moins dans la mort ». En guise de signal adressé par les défunts, le maire souligne cet « atout symbolique » : le cimetière sera situé à proximité du camp d’internement de Ferramonti, où Mussolini avait interné près de 3000 personnes, en majorité juives, d’abord secourues par un navire de la marine italienne après leur chavirage en mer Égée, au terme de leur fuite de Bratislava par le Danube

Par Jacques Munier

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