À l’occasion du Forum économique de Davos, Oxfam a publié son rapport annuel sur les inégalités mondiales.
Avec un focus sur les inégalités que subissent les femmes. Et dans ses grandes lignes, le constat est chaque année plus accablant.
Les richesses des 1 % les plus riches de la planète correspondent à plus de deux fois la richesse de 90 % de la population.
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L’ONG pointe que les seuls 2 153 milliardaires du globe détiennent désormais plus d’argent que 60 % de la population mondiale. « Les inégalités indécentes sont au cœur de fractures et de conflits sociaux partout dans le monde », s’inquiète Oxfam, qui rappelle qu’à l’origine de cet enrichissement continu, il y a l’abaissement de la fiscalité sur les grandes fortunes et sur le capital, l’évasion fiscale institutionnalisée – 30% de leur richesse soustraite à l'impôt – la chute de la fiscalité sur les sociétés, destinée à maximiser les profits et la rentabilité du capital. C’est ainsi que le fossé entre capital et travail, assumé par le monde financier et politique, ne cesse de se creuser.
Entre 2011 et 2017, les salaires moyens dans les pays du G7 ont augmenté de 3 %, alors que les dividendes des riches actionnaires ont bondi de 31 %
Le constat est partagé dans une récente étude du cabinet de conseil Proxinvest : en France, la rémunération moyenne des dirigeants des 40 plus grosses sociétés cotées en Bourse correspond à 277 smic. « À force d’être répété, le discours tourne à la rengaine » souligne Julien Bouissou dans Le Monde. « Chaque année, les dirigeants des grandes entreprises réunis au Forum de Davos plaident pour une croissance mieux partagée. Et pourtant au sein même des entreprises, les écarts de salaires sont grandissants. » Pour Patrick Belser, économiste à l’OIT, « Les écarts salariaux se creusent pour moitié entre les entreprises, et pour moitié à l’intérieur d’entre elles », du fait notamment du développement de la sous-traitance. « En se recentrant sur leur cœur de compétences et en se délestant des tâches à moindre valeur ajoutée, certaines sociétés concentrent des salaires élevés. » Avec cette autre conséquence, relevée par Pierre Habbard, secrétaire général de la commission syndicale de l’OCDE : « Les périmètres économiques des entreprises ne coïncident plus avec leurs périmètres juridiques ». De nombreux groupes possèdent des entités séparées pour leurs différentes catégories de personnels, le taux de couverture des conventions collectives a diminué, tout comme la densité syndicale, affaiblissant la capacité de négociation des employés.
Une économie sexiste
Comme le souligne Martine Orange dans Mediapart, cette année le rapport d’Oxfam met l’accent sur les inégalités subies par les femmes. « Dans le capitalisme financier, les métiers qui ont une utilité sociale (infirmières, enseignants, etc.) sont considérés comme de peu de valeur, bien moins en tout cas que la profession de trader ou de banquier d’affaires. » Or ce sont ces métiers, « les plus mal payés, les plus dévalués » que les femmes exercent en priorité.
La dernière livraison de la revue Regards croisés sur l’économie trace la circulation et l’accumulation de l’argent, avec leurs effets sur la montée des inégalités. S’il est vrai que celles-ci ont baissé entre les pays, du fait notamment de la montée en puissance de la Chine, cette tendance égalisatrice « a de plus en plus de mal à contrecarrer la hausse des inégalités au sein des pays ». Faute de politiques – notamment fiscales – capables d’assurer une plus juste répartition, les inégalités dans le monde continueront à s’accroître, avec les conséquences que l’on sait sur les conditions de vie et le climat social.
Des vies plus précieuses que d’autres
Dans Le Monde diplomatique, Charlotte Recoquillon a mené l’enquête sur le calcul des indemnités aux Etats-Unis en cas de préjudice grave avec responsabilité d’un tiers – intoxication, accident, décès. Il s’avère que ce calcul s’appuie sur des critères comme le salaire ou l’espérance de vie. Les inégalités sociales se répercutent ainsi sur le montant des compensations et certaines vies sont plus précieuses que d’autres… C’est pourquoi les entreprises polluantes s’installent de préférence dans les quartiers populaires. Et certaines sociétés de livraison incitent leurs chauffeurs à circuler dans les zones habitées par des noirs, où l’on peut rouler plus vite puisque les pénalités en cas d’accident sont moins élevées.
« Ce qui manque ne peut pas être compté » nous souffle la sagesse de L’Ecclésiaste. Alain Supiot avait placé la formule en exergue à son livre sur La Gouvernance par les nombres. Le professeur au Collège de France s’inquiétait notamment que cette gouvernance s’impose aux services publics comme la santé. L’objectif de performance boursière à court terme réduit les investissements, en particulier dans les secteurs recherche et développement, c’est le cas dans l’industrie pharmaceutique comme l’a montré l’enquête de Quentin Ravelli, La stratégie de la bactérie. Une enquête au cœur de l’industrie pharmaceutique (Seuil) avec les risques sanitaires dont l’actualité a donné de nombreux exemples. Une gouvernance à courte vue qui oblitère l’avenir.
Ce qui manque ne peut pas être compté.
Par Jacques Munier
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