Islam de France : l’impasse ?

Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris
Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris ©AFP
Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris ©AFP
Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris ©AFP
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Le recteur de la Grande Mosquée de Paris a déclaré lundi qu’il se retirait du projet de Conseil national des imams, voulu par l’Élysée et confié au Conseil français du culte musulman.

Selon son communiqué Chems-Eddine Hafiz a « décidé de ne plus participer aux réunions qui visent à mettre en œuvre le projet du Conseil national des imams et de geler tous les contacts avec l’ensemble de la composante islamiste du CFCM ». Ce projet d’un Conseil national des imams (CNI) chargé de certifier leur formation en France a été initié par l’Élysée dans le cadre de son projet de loi contre l’islam radical et les « séparatismes ». Sa fonction serait notamment de délivrer un agrément aux imams au vu de leurs connaissances et de leur engagement à respecter un code de déontologie. Les neuf fédérations de mosquées qui composent le CFCM devaient donc se mettre d’accord sur une charte des valeurs républicaines. Mais le recteur de la Grande Mosquée de Paris dénonce « la composante islamiste au sein du CFCM, notamment celle liée à des régimes étrangers hostiles à la France », qui « a insidieusement bloqué les négociations en remettant en cause presque systématiquement certains passages importants » de la charte. Sur le site de La Croix, Laurent de Boissieu rappelle que « la volonté de l’État de séparer l’islam de l’islamisme à travers la signature d’une charte n’est pas nouvelle » et se heurte toujours à la même difficulté

Soit défendre un texte ferme sur les principes, même s’il est rejeté par de grandes fédérations musulmanes – en décembre 1994, la première « charte du culte musulman » avait été adoptée unilatéralement par la Grande Mosquée de Paris, liée à l’Algérie –, soit chercher un large consensus, quitte à s’accommoder d’une déclaration sans portée concrète.

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Aujourd’hui, dans la page Débats du quotidien, Azzedine Gaci, Imam à Villeurbanne et porte-parole du conseil théologique des imams du Rhône parle d’un projet mort-né, tel qu’il est présenté sous la dictée de l’Élysée et de la Place Beauvau. Et il plaide pour une forme de décentralisation, dont témoigne son organisation, elle qui s’est déjà dotée d’une commission « déontologie et éthique », « pour rappeler à l’ordre les imams délivrant des messages en contradiction avec les principes républicains ». Tarik Abou Nour, Imam dans le Val-d’Oise, théologien et président de l’Institut d’enseignement supérieur islamique de Paris est quant à lui favorable à l’initiative : « le Conseil national des imams est une nécessité imminente au-delà des clivages politiques ou religieux » comme « rempart contre les ingérences étrangères et l’assurance d’une indépendance. La formation continue et le contrôle des connaissances sont au cœur du dispositif qui vise à dissuader les imams idéologisés ou autoproclamés ».

« Depuis les années 1980, l’organisation de l’islam de France patauge. Ce CNI, c’est notre bouée de sauvetage, pour mettre fin à l’ingérence étrangère et aux idéologies de haine et d’exclusion. »

Parmi les sujets qui coincent chez les islamistes dans le projet de Charte des principes du conseil national des imams : le passage enjoignant de « ne pas qualifier l’apostasie de crime ni stigmatiser celles ou ceux qui renoncent à une religion ». Ou encore la définition de l’islam politique qui désigne les courants considérés comme incompatibles avec la République : je cite « wahhabisme, salafisme, doctrine des Frères musulmans et plus généralement toute mouvance locale, transnationale ou internationale qui vise à utiliser l’islam afin d’asseoir une doctrine politique, notamment celles dont les textes rejettent la démocratie, la laïcité, l’égalité entre les femmes et les hommes ou qui fait la promotion de l’homophobie, de la misogynie, de l’antisémitisme, de la haine religieuse ». Sans surprise, ce passage est dénoncé par les Musulmans de France (ex-UOIF), Foi et Pratique (branche française du mouvement tabligh) et la Confédération islamique Millî Görüş, liée à la Turquie. Du coup, comme le révèle Laure Daussy dans Charlie Hebdo, qui s’est procuré l’une des dernières moutures du texte, « la définition de cet islam politique est entièrement rayée ». Ce n’est donc pas cette fois que le vieux serpent de mer de la certification des imams va aboutir, estime-t-elle.

Pas sûr qu’une charte initiée au départ par l’exécutif – celui-ci s’implique beaucoup, au risque de quelques renoncements au principe de séparation entre les cultes et l’État – aurait été bien acceptée par les mosquées, et d’autant plus celles qui ne doivent rien au CFCM.

Par Jacques Munier