Islam, problème et solution à la fois

Gendarmerie de Carcassonne, hommage au Lieutenant-Colonel Arnaud Beltrame
Gendarmerie de Carcassonne, hommage au Lieutenant-Colonel Arnaud Beltrame ©AFP
Gendarmerie de Carcassonne, hommage au Lieutenant-Colonel Arnaud Beltrame ©AFP
Gendarmerie de Carcassonne, hommage au Lieutenant-Colonel Arnaud Beltrame ©AFP
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Malgré les victoires militaires remportées sur le terrain contre l’organisation Etat islamique, l’attentat de Trèbes montre qu’on est loin d’en avoir fini avec son pouvoir de nuisance et de terreur.

« L’EI n’a pas disparu en Irak et en Syrie, comme le montrent ses attaques récentes, dans plusieurs provinces, celles de Kirkouk ou d’Idlib. Il existe par ailleurs un vivier de radicalisés partout à travers le monde qui n’ont pas renoncé à l’idéal jihadiste de cette supposée défense de l’islam contre les mécréants » rappelle Myriam Benraad dans Libération.fr. La politologue spécialiste du djihadisme ajoute qu’après les défaites militaires du « califat » on observe deux tendances : « Découragement et désillusion d’une part, en particulier chez les revenants. Ceux-là sont souvent désenchantés face à l’eldorado auquel ils avaient cru, constatant qu’il s’agissait d’une promesse vide. D’autant qu’ils ont été témoins d’actes atroces commis par un groupe foncièrement criminel. Il y a une autre tendance, illustrée par l’attaque de Trèbes : celle d’un revanchisme jihadiste particulièrement répandu parmi les résidents radicalisés. »

La stratégie de l'intimidation

Pour Alexandre del Valle, ce sentiment est notamment entretenu par « une stratégie de l'intimidation, celle d'un islamisme conquérant dont le terrorisme n'est que la branche armée, tandis que la crainte qu'il inspire est perpétuée par un discours islamiquement correct ». Dans le Figarovox, le spécialiste de géopolitique et de relations internationales refuse d’isoler le phénomène terroriste d’un ensemble de représentations et de justifications idéologiques à l’œuvre dans nos propres sociétés. Il estime que 

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la violence physique des jihadistes produit une sidération et une intimidation qui profite en fait aux tenants de l'islamisme plus institutionnel. Ceux-ci prétendent que le jihadisme n'a rien à voir avec l'islam alors qu'ils s'abreuvent aux mêmes sources totalitaires.

Et il rappelle que « l'Université Al-Azhar, la plus prestigieuse du monde sunnite, n'a jamais excommunié les jihadistes, alors qu'elle a déclaré apostats nombre de libéraux ». Avant d’ajouter qu’en France « l'islam modéré, celui de la mosquée de Paris ou de l'imam Chalghoumi, existe mais il est en perte de vitesse et minoritaire au niveau des lieux de cultes et de la production de discours et d'identité. » Jugeant que nos sociétés ont beaucoup trop cédé durant des décennies, notamment « en laissant les Frères musulmans et à présent le pôle turc contrôler le Conseil français du culte musulman (CFCM) »  il suggère par exemple « de n'accorder la gestion du marché du halal qu'à des pôles modérés de l'islam » car les milliards générés permettent à des mouvances comme les Frères de s'autofinancer. Alexandre del Valle pointe également un problème de fond : « la haine envers la civilisation occidentale », qui « crée un terreau favorable au processus de radicalisation jihadiste ». Mais lui qui ne manque pas une occasion de mettre en garde contre – je cite – les « conséquences funestes de la nouvelle guerre froide entre l'Occident et la Russie » dans cette guerre d’influence semble oublier que la haine anti-occidentale et anti-démocratique est également distillée par le Kremlin. Et qu’est-ce que les russes ont fait contre l’État islamique en Syrie, si ce n’est consolider le régime criminel d’Assad dont il est avéré qu’il a favorisé l’émergence d’un troisième front jihadiste en libérant les pires éléments islamistes de ses prisons à seule fin de se rendre indispensable contre cette menace ? Reste que, comme l’a montré le psychologue américain William Schutz, plus une entité véhicule une image positive d'elle-même, plus elle suscite l'adhésion : dans notre démocratie essoufflée le sacrifice héroïque et altruiste du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame à Trèbes pourrait bien changer la donne de la martyrologie… 

Les défis de la réforme de l'islam

Et si « la culture de l'excuse, le fruit le plus mûr du complexe occidental » tend à ramener l’analyse du jihadisme aux conditions sociales de son essor, nombreux sont ceux qui s’élèvent contre cette interprétation « victimisante ». Dans le livre paru chez UPblisher sous le titre Islam : quel problème ? Les défis de la réforme, Razika Adnani rappelle d’abord à propos de la radicalisation islamiste que « la majorité des personnes touchées par ce phénomène vivent dans les pays musulmans où l’individu vit dans son milieu culturel et historique et n’est pas confronté au problème de l’intégration ». Pour la philosophe et islamologue il convient en outre de ne pas restreindre à la France ou à l’Europe l’analyse d’un phénomène né d’abord dans les pays musulmans. Selon elle, aujourd’hui « le radicalisme et le salafisme qui montent en Europe sont davantage une cause de la problématique de l’intégration qu’une conséquence », la stratégie de ces courants étant de « culpabiliser » les croyants en présentant l’intégration comme une « trahison » et une forme d’impiété, même si « le fondamentalisme islamiste qui crée le problème de l’intégration, l’utilise en même temps pour se renforcer ». Et face aux dénégations qu’on peut entendre à chaque nouvelle explosion de violence – « cela n’est pas l’islam » - elle insiste sur la nécessité d’une prise de conscience collective et d’une responsabilisation des musulmans face aux dérives du fondamentalisme. Par la connaissance et la critique des « failles et contradictions » du courant littéraliste auquel elle consacre un chapitre de son livre. Ainsi que par une évolution du rapport à l’autre dans nos sociétés et du regard porté sur lui.

Par Jacques Munier

A lire aussi :

Sam Harris & Maajid Nawaz, L'islam et l'avenir de la tolérance – Un dialogue. Editions Markus Haller

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