Dans le feuilleton politico-judiciaire qui mine la campagne présidentielle, un nouveau seuil a été franchi avec la déclaration du candidat de la droite.
Pour Denis Salas, jouer le choix des électeurs contre le pouvoir des juges relève d’une conception dépassée de la démocratie, où la classe politique estimait être seule qualifiée à définir sa propre éthique. Dans Le Monde le magistrat revient sur la ligne de défense de François Fillon, qui « voit dans les incriminations pénales que le parquet lui applique un " coup d'Etat institutionnel " ou l'effet d'un " tribunal médiatique ". Cette défense use de la rhétorique du procès politique pour disqualifier des révélations. Elle est accompagnée par la thèse sempiternelle du " gouvernement des juges ", utilisée ces jours-ci par Mme Le Pen. On retrouve là tous les traits culturels du mépris du droit. » Mais « nos dirigeants ne peuvent plus prétendre être seuls juges de leur éthique ou n'être justiciables que devant leurs électeurs. Ce ne sont pas les juges ou les médias qui les persécutent. C'est la démocratie qui a avancé sans qu'ils le voient. » Denis Salas estime révolu le temps où une réprobation de principe couvrait une tolérance de fait, l’époque où l’on pouvait considérer que d'autres qualités compenseraient le défaut de probité, comme l'efficacité ou la proximité, à l’aune desquelles « la confiance serait maintenue, et la réélection assurée ». Aujourd’hui, le droit « est une arme aux mains des citoyens. A leur service, il y a des juges indépendants et une presse capables de les entendre et de porter leur voix », des lanceurs d'alerte n’hésitent pas à révéler une information « dès lors qu'ils y voient un scandale moral ». Désormais, le vote populaire n’est plus une onction ou une « absolution » et « les urnes ne donnent plus un blanc-seing pour gouverner ».
Un des arguments avancés pour dénoncer l’action de la justice : le temps de l’élection devrait ouvrir une période de trêve judiciaire
« Grande nouvelle : les juges savent lire un calendrier ! » s’insurge Guillaume Drago dans les pages Champs libres du Figaro. Le juriste s’interroge sur la célérité de la justice et son intervention au cœur de la campagne en arguant du fait que le Parquet national financier (PNF) est « compétent pour les affaires d’une grande complexité, en raison notamment du grand nombre d’auteurs, de complices ou de victimes ou du ressort géographique sur lequel elles s’étendent » (art. 705 du Code de procédure pénale) ». En l’espèce, ne s’agissant pas d’évasion fiscale ou de circuits opaques, l’affaire est pourtant assez claire et du niveau d’entendement d’un palmipède. Outre qu’elle est contestée par de nombreux juristes, l’idée d’une trêve judiciaire en période électorale n’a aucun fondement juridique, l’immunité parlementaire ou présidentielle étant réservée aux mandants déjà élus. Et le professeur de droit public à Assas semble oublier que c’est le candidat lui-même qui a souhaité accélérer la procédure pour éviter qu’elle n’entrave sa campagne.
Dans La Croix Philippe Raynaud conteste l’idée d’une trêve judiciaire
« Quelle est l’instance légitime pour en décider ? » demande-t-il. « Le pouvoir exécutif ne peut pas le faire sans encourir le reproche d’intervenir dans une affaire en cours. Aucune norme en vigueur n’oblige à cette trêve et il n’y a pas d’autorité légitime pour la décréter. » Le politologue estime en outre qu’« il est de plus en plus difficile de défendre l’idée d’un privilège de juridiction. Ce n’est déjà pas très facile pour les présidents en exercice, mais ça l’est encore moins pour les parlementaires, qu’ils soient candidats ou non à la présidence de la République. » Et il relève également « la tendance lourde, commune à toutes les démocraties occidentales, au renforcement du pouvoir judiciaire ». Une tendance qui « a joué également en défaveur du PS et de l’exécutif lors de l’affaire Cahuzac ».
À ce propos, Denis Salas rend hommage à François Hollande dans l’affaire Cahuzac
C’est dans l’article cité des pages Débats&analyses du Monde : « La création du Parquet national financier et de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique est à mettre à son crédit. » Denis Salas est également directeur scientifique des Cahiers de la justice, la revue de l’École nationale de la magistrature. Sa dernière livraison ouvre le débat sur la réforme de la prescription, votée au Parlement en février et qui, au final – je passe les détails – permettra aux délinquants en col blanc d’échapper à la justice. Mais la réforme comporte beaucoup d’autres volets sur ce « temps que la société estime nécessaire pour oublier définitivement une infraction » et qui a été considérablement allongé pour tous les crimes et délits. La question centrale est le point de départ du délai au moment où l’infraction est commise, ce qui ne pose pas de problème pour un meurtre ou un vol. L’évasion fiscale est en général plus difficile et longue à détecter.
Par Jacques Munier
L'équipe
- Production