Kavanaugh à la Cour suprême, l’Amérique déchirée

Devant la Cour suprême le 6 octobre 2018
Devant la Cour suprême le 6 octobre 2018 ©Getty - A. Wong
Devant la Cour suprême le 6 octobre 2018 ©Getty - A. Wong
Devant la Cour suprême le 6 octobre 2018 ©Getty - A. Wong
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Avec l’élection à la Cour suprême du juge ultra conservateur accusé d’agressions sexuelles Brett Kavanaugh, l’Amérique apparaît plus divisée que jamais.

« Au terme de vingt jours d’un drame en plusieurs actes – résume Matthieu Magnaudeix dans Mediapart : l’audition au Sénat de son accusatrice, d’autres femmes sorties du bois, sa défense hargneuse, un délai d’une semaine pour permettre au FBI d’enquêter, puis un vote au Sénat, acquis de justesse ce samedi 6 octobre, par 50 voix contre 48 – la droite américaine et le président Donald Trump obtiennent une victoire par K.O. » Le correspondant du site d’information évoque les manifestations à Washington et à New York, le_s « survivantes »_ d’agressions sexuelles qui ont interpellé les sénateurs jusque dans les ascenseurs et les couloirs du Capitole et la montée d’une vague d’indignation. Il rappelle l’ambiguïté de la position du juge sur l’avortement, sa défense de la « liberté religieuse » chère aux conservateurs, du port d’armes, de la surveillance et des lois électorales restrictives qui, dans certains États, limitent l’accès des minorités au vote. 

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Il a aussi une vision étendue des prérogatives présidentielles, ce qui pourrait s’avérer utile à l’avenir pour Donald Trump, cerné par plusieurs enquêtes judiciaires.

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Dans le New York Times, plus de 2 400 juristes ont estimé que « le comportement rude, incendiaire et partial » de Kavanaugh le jour de l’audition au Sénat le « disqualifie pour n’importe quel tribunal, et encore plus pour la juridiction la plus importante du pays ». Dans The Nation, l’activiste Phyllis Bennis et le révérend William Barber, un pasteur noir à l’origine de la « campagne des pauvres » – le mouvement qui s’inspire du combat de Martin Luther King – rappellent les lois Jim Crow promulguées à la fin du XIXe par les tribunaux et la Cour suprême, un arsenal juridique qui a réduit à néant l’héritage de la Reconstruction (1865-1877), cette courte période d’égalité des droits pour les Afro-Américains qui a suivi la guerre de Sécession et l’abolition de l’esclavage. 

140 ans plus tard, la nomination de Kavanaugh fait planer le risque d’un renversement similaire de nombreuses victoires pour les droits des femmes, contre le racisme, pour limiter le pouvoir des grandes entreprises, pour l’environnement, contre la torture et la surveillance de masse pour le droit des immigrés et des réfugiés.

Gilles Paris évoque dans Le Monde « le passage en force coûteux de Donald Trump », qui « va laisser une Amérique toujours plus divisée ». Le correspondant du quotidien à Washington analyse une « victoire obtenue dans ces conditions controversées » et qui aura « plus d’un revers ». L’image du Sénat, notamment, « autrefois bastion des compromis », n’en sort pas grandie. Le juge le plus mal approuvé dans l’histoire l’aura été au prix de manœuvres comme l’abaissement du seuil de confirmation de soixante à cinquante voix. 

Crise de la démocratie en Amérique 

Depuis la guerre civile jamais l’opinion publique américaine n’a été à ce point divisée. Républicains contre démocrates, ultras contre modérés, Etats ruraux contre Etats urbains, Blancs contre Noirs, sinon hommes contre femmes… Dominique Moïsi

Dans Les Echos, Dominique Moïsi insiste sur la crise politique ouverte aux Etats-Unis : « L’audition de Brett Kavanaugh par une commission du Sénat a donné lieu à des échanges choquants. Il ne s’agissait plus, en effet, de la poursuite de la vérité ou du choix de l’homme qui serait – dans cette fonction essentielle pour l’équilibre de la démocratie – le meilleur pour l’Amérique. » Et de pointer la montée de ce que l’historien Arthur Schlesinger Jr. appelait « la République impériale », un renversement de l’équilibre des pouvoirs au bénéfice de l’exécutif et au détriment du législatif et du judiciaire. À moins d’un mois des élections de mi-mandat aux Etats-Unis, cette dérive « nous concerne tous », estime le politologue. 

Un échec significatif de Donald Trump et de ses partisans constituerait un encouragement pour le parti de la raison en Europe, la démonstration, à la veille des élections européennes de mai 2019, que les populismes ne sont pas irrésistibles.

La controverse née du fait que, malgré le mouvement #MeToo, un candidat publiquement accusé d’agressions sexuelles est nommé à la Cour suprême pourrait bien avoir des conséquences sur le vote, notamment des femmes. Dans les pages idées de Libération, Sandra Laugier fait le lien avec l’affaire Clarence Thomas, le juge mis en cause par Anita Hill pour harcèlement alors qu’il briguait en 1991 une nomination à la Cour suprême. Kavanaugh confirmé « malgré les hésitations de plusieurs républicains et l’effet désastreux de son audition pour l’image de la justice, il ne reste plus qu’à se rappeler que quelques mois après l’humiliation d’Anita Hill, des dizaines de femmes, portées par l’indignité du spectacle, furent élues au Congrès américain ».

Par Jacques Munier

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