Un collectif de 44 rescapés des attentats du 13 novembre 2015 a publié dans Le Parisien un appel en faveur des Kurdes attaqués par la Turquie.
En tant que survivants du terrorisme, il nous est impossible de rester silencieux et indifférents à l’attentat permanent que vivent ces populations, envers lesquelles nous avons une dette inestimable.
Les signataires rappellent le rôle éminent joué par les Kurdes dans la lutte contre Daech et en appellent à la conscience de chacun pour s’engager contre l’agression turque ainsi qu’à « tous les chefs d’Etat d’Europe et du monde, qui en 2015 avaient dit ensemble Plus jamais ça !, à prendre à nouveau ensemble leurs responsabilités face à l’Histoire ». Outre la menace imminente de voir revenir sur notre sol des djihadistes évadés des prisons kurdes suite à l’offensive turque, ils soulignent que « le Rojava, seule tentative de démocratie sociale au milieu d’un océan de dictatures, risque d’être anéanti ».
Rojava
L’hebdomadaire Le un est consacré à cette douloureuse actualité. « L’accord conclu entre Ankara et Moscou vient probablement sonner le glas des espoirs kurdes nés autour du territoire autonome du Rojava, au nord de la Syrie. » Pour Hamit Bozarslan, l’objectif du président turc est d’« en finir avec la présence kurde à sa frontière » et de séparer par un large « cordon sanitaire » les Kurdes turcs et syriens.
Ce président vit sous l’emprise d’une violente nostalgie impériale, où la Turquie est investie d’un double rôle : d’abord apporter au monde son sens de la justice et du bien, ensuite constituer le bras armé de l’islam.
Dans sa vision paranoïaque de l’histoire, « l’objectif de la Première Guerre mondiale visait à détruire l’Empire ottoman, et les ennemis de la Turquie ne cessent de le poursuivre. Erdoğan établit un lien entre espace et espèce. De ce point de vue, les Kurdes sont une menace stratégique existentielle pour l’avenir de la Turquie ». Le directeur d’études à l’EHESS, spécialiste des questions proche-orientales, évoque les conséquences de l’opération militaire turque : « l’expérience mise en place en Syrie dans la région du Rojava, le long de la frontière turque, où Kurdes et Arabes locaux ont instauré ensemble une forme de démocratie directe est terminée ». Ensuite, « Poutine est définitivement le maître du jeu dans la région » et peut désormais « imposer plus facilement ses arbitrages à Erdoğan – et aussi à Bachar Al-Assad ». Et s’il parvient à amener les Kurdes « à négocier un compromis avec Assad qui inclut une forme très partielle d’autonomie, Erdoğan aura du mal à s’y opposer ». Enfin, dernière conséquence : « il peut y avoir des sanctions très dures du Congrès américain contre Erdoğan qui pèseront lourdement sur une économie turque déjà en difficulté ».
Aucune culture ne peut exister sans un imaginaire commun. Celui des Kurdes est très puissant.
Pour Moscou, « les Kurdes présentent un intérêt non négligeable. Ils ont une armée constituée de 70 000 hommes et femmes entraînés. » Écrivaine et photographe, Sophie Mousset s’est rendue à plusieurs reprises en territoire kurde. Elle a notamment publié Kurdistan : poussière et vent (2017) aux éditions Nevicata.
Les guerillas, comme se nomment elles-mêmes les combattantes YPJ du Rojava, tentent de transmettre des notions d’écologie et le sens de leur lutte par l’exemplarité de leur comportement.
Dans l’histoire des guerres asymétriques, « faire combattre les femmes, c’est surtout doubler les effectifs. Ce fut le cas en Espagne, en Érythrée, en Algérie, au Sri Lanka avec les Tigres tamouls… » Mais chez les Kurdes, il y a aussi « la volonté des jeunes femmes de changer leur société ».
La "Geôle d'Amed", Diyarbakir
Les Éditions des femmes publient les lettres de prison de Zehra Doğan ( Nous aurons aussi de beaux jours. Écrits de prison). La journaliste et artiste kurde est l’une des fondatrices de la première agence d’information de femmes en Turquie, fermée par décret à la suite de la tentative de coup d’état de juillet 2016, et l’on se demande bien pourquoi. Le prétexte répétitif qui l’a condamnée, « propagande pour une organisation terroriste », s’appliquait-il à son reportage sur les femmes yézidis ayant échappé à Daech ? Dans cette prison de Diyarbakir où on l’a privée des moyens de peindre, elle fait notamment le portrait des femmes qu’elle côtoie, des ouvrières agricoles, des étudiantes, des édiles municipales… Une femme de 28 ans, mère de deux enfants, condamnée à trois ans et quatre mois « simplement parce qu’elle avait porté une tenue de guérilla dans une fête ». Certaines de ses codétenues ne savent même pas pourquoi elles sont en prison car leur réquisitoire n’a pas encore été prononcé.
Il ne faut pas que les mères soient arrêtées, nous ferons de la prison à leur place.
Restent les étoiles scintillantes, aperçues à travers les barreaux et grillages, quand le ciel vient à manquer, comme si la vérité de l’univers envoyait des messages.
Oui, l’Histoire, en vérité, n’est pas seulement l’Histoire écrite, et n’est pas réduite à des événements d’une importance relative. L’Histoire, c’est le présent. Elle est le moment présent vécu par tout l’univers.
Par Jacques Munier
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