L’Afrique dans l’histoire

La cité fortifiée de Fasil Ghebi, Ethiopie
La cité fortifiée de Fasil Ghebi, Ethiopie ©Getty
La cité fortifiée de Fasil Ghebi, Ethiopie ©Getty
La cité fortifiée de Fasil Ghebi, Ethiopie ©Getty
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L’historien et archéologue François-Xavier Fauvelle a été élu titulaire de la première chaire permanente consacrée à l’Afrique au Collège de France.

« L’épilogue d’une longue rivalité entre spécialistes de ce continent » ajoute Joan Tilouine dans Le Monde, qui retrace les épisodes de cette lutte d’influence entre deux écoles d’africanistes, depuis 2015, quand le Collège de France, sous l’impulsion de Patrick Boucheron, commence à réfléchir à la création d’une chaire consacrée à l’Afrique. D’un côté le camp marqué par les luttes pour la décolonisation, représenté notamment par Catherine Coquery-Vidrovitch, pour qui « la guerre d’Algérie a été le déclic ». De l’autre, ceux qui revendiquent une approche plus « scientifique », « avec une volonté d’imposer la légitimité de l’histoire de l’Afrique comme une discipline rigoureuse », insiste Bertrand Hirsch, spécialiste de l’Ethiopie médiévale. Une approche plus décomplexée vis-à-vis du poids colonial, aussi. François-Xavier Fauvelle appartient à ce camp. Dans ses « Titres et travaux », l’opuscule adressé aux professeurs dans le cadre de sa candidature, il se dit « animé par l’idée de réenchanter l’histoire médiévale du monde, en restituant le rôle majeur du continent africain » et il affiche son aversion pour les fantasmes suscités par sa zone d’étude : « À force d’en faire un “berceau” des origines, on a fini par folkloriser le passé de l’Afrique », écrit-il. Et de cibler au passage ses détracteurs en rappelant que sa discipline « a cessé d’être paternaliste pour devenir, parfois, tiers-mondiste. (…) Elle a cru que “décoloniser l’histoire” de l’Afrique voulait dire laisser le champ libre aux veines nationalistes et afrocentristes, voire encourager l’entrepreneuriat mémoriel. » La leçon inaugurale de la chaire d’Histoire et archéologie des mondes africains est prévue à l’automne prochain. 

Universel et universalisme

Aujourd’hui le philosophe et historien camerounais Achille Mbembe, figure des études postcoloniales, estime que « la création de cette chaire arrive un peu tard » et qu’il « est regrettable qu’elle ne revienne pas à un Africain. Ce serait inconcevable aux Etats-Unis. » Mais c’est justement l’attachement aux universités américaines où ils enseignent qui a amené les premiers intellectuels pressentis à décliner l’invitation : l’écrivain congolais Alain Mabanckou, le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne et son compatriote historien Ibrahima Thioub, qui a préféré « servir son pays en tant que recteur de l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar ». Dans les pages idées de Libération, Sonya Faure brosse le portrait intellectuel de Souleymane Bachir Diagne, « qu’il parle d’universalisme, d’islam ou de panafricanisme ». En 2011, il a publié un livre intitulé Bergson postcolonial (CNRS Éditions). Bergson n’a jamais écrit un mot sur la colonisation. « Mais dans son discours devant l’Académie des sciences morales et politiques, en décembre 1914, il explique l’agressivité allemande par son histoire : le pays s’était unifié, à partir de la Prusse, de manière brutale et mécanique, et l’Allemagne projetait désormais cette violence sur les autres nations. » À l’époque  « le texte a tout de suite été traduit en arabe, diffusé dans un journal égyptien et fortement discuté par les intellectuels. 

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Pour eux, ce que Bergson disait sur l’Allemagne, cette victoire des forces mécaniques sur le vivant, décrivait exactement ce qui se passait avec la colonisation.

Le philosophe sénégalais, qui refuse l’étiquette de penseur décolonial, ni même postcolonial, illustre ainsi sa relation à la notion occidentale et hégémonique d’universel, qui reste « un but à atteindre », en la distinguant de l’universalisme qui est une forme d’impérialisme. 

Bergson, à son corps défendant, s’est retrouvé anticolonial

Traductions, reprises, acculturations, ébauchent les contours de ce « nouvel universel, qui serait véritablement tel parce qu’inclusif » et non dévolu au particulier, à la fragmentation des identités. C’est le sujet de ses échanges avec l’anthropologue Jean-Loup Amselle, publiés chez Albin Michel sous le titre En quête d’Afrique(s). Universalisme et pensée décoloniale. Il y est question notamment de la charte du Mandé où figurent les principes fondateurs de l’empire du Mali au XIIIème siècle et qu’on peut lire comme une première version des droits humains.

L’Afrique dans l’histoire

« Si le grain du temps est l’événement », pourquoi les sociétés africaines du passé en seraient-elles exclues, elles qui ont été « pareillement et singulièrement prises dans l’étoffe même du temps et du récit », demande François-Xavier Fauvelle. Démentant la formule malheureuse selon laquelle l'homme africain ne serait « pas assez entré dans l'Histoire » et que son problème est de vivre « dans la nostalgie du paradis perdu de l'enfance » le futur professeur au Collège de France publie un bel ouvrage collectif, abondamment illustré, de près de 700 pages chez Belin sous le titre L’Afrique ancienne De L’acacus au Zimbabwe. 20 000 ans avant notre ère – XVIIe siècle. Un continent d’écritures a notamment permis la remontée dans le temps, au même titre que les vestiges archéologiques. La préhistoire récente du Sahara nous apprend par exemple qu’entre le XIIe et le IVe millénaires, le Sahara était un milieu de vie exceptionnellement favorable, avec des lacs et des cours d’eau, ce dont l’art rupestre porte encore témoignage.

Par Jacques Munier