

Les débats sur l’école ont quelque chose de décourageant : ils se multiplient sans améliorer la situation.
Pourtant chacun a bien conscience du caractère crucial de la question. Première socialisation et acquisition des savoirs pour assurer l’avenir, le parcours scolaire est décisif dans la vie. Mais l’idéal républicain de l’égalité des chances se heurte à la réalité de la reproduction des inégalités, que Bourdieu et Passeron avaient déjà décrite dans Les Héritiers. Les dispositions sociales héritées de la culture dominante sont celles-là mêmes qui sont valorisées à l’école. D’où, malgré les efforts, le fait que la France soit le pays de l’OCDE « où l’origine sociale pèse le plus sur la trajectoire scolaire », comme le rappelle le livre de Jean-Michel Blanquer dont Le Point publie de larges extraits. Dans L’école de demain, à paraître le 19 octobre chez Odile Jacob, cet ancien directeur de l’enseignement scolaire délivre un diagnostic étayé par des comparaisons internationales et il fait des propositions concrètes. Il préconise notamment de rester attentif aux études Pisa (le Programme international pour le suivi des acquis des élèves), qui montrent que le nombre d’élèves en difficulté s’accroît depuis 2000. Et de s’appuyer sur les avancées des sciences cognitives. Moins d’élèves par classe en maternelle, car selon les travaux de James Heckman, prix Nobel d’économie, « 1 euro consacré à un très jeune enfant permet d’en économiser jusqu’à 8 plus tard, dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la sécurité, de la justice ou des services sociaux ». Des évaluations plus régulières et rendues publiques sur les résultats des méthodes employées, et des stages de remise à niveau en fin d’été pour lutter contre la déperdition des savoirs durant les grandes vacances, et les inégalités entre ceux qui profitent d’un milieu familial leur permettant de progresser même en dehors du temps scolaire et les autres. Le sujet est débattu avec le philosophe François-Xavier Bellamy, qui exprime son amertume devant ce qu’il considère comme un retour au sens commun après tant de recherches complexes : « Blanquer rappelle ce que disaient déjà Erasme et Kant, et que les neurosciences confirment aujourd’hui, que rien ne remplace, pour apprendre, la répétition, l’exercice, le développement d’automatismes, la récitation ». Et la Ministre de l’éducation nationale évoque notamment la création du Conseil national de l’innovation pour la réussite éducative, qui développe les liens entre la recherche et le système scolaire, non sans insister sur sa loi de 2013 pour la refondation de l’école de la République, qui revient aux fondamentaux et à la pédagogie de la répétition et de l’entraînement quotidien. Comme on voit, le débat tourne rond…
Il rebondit aujourd’hui dans les pages idées de Libération, suite à la critique élogieuse par Laurent Joffrin du livre polémique de Carole Barjon, intitulé Mais qui sont les assassins de l’école ?
Elle épingle les penseurs du système éducatif. Évidemment visé par la charge, François Dubet répond à Laurent Joffrin. Il rappelle que « l’apprentissage de la lecture et du calcul reste traditionnel dans la majorité des cas », la méthode syllabique, même mâtinée d’un peu de globale est la règle, l’objectif étant l’efficacité pour les enseignants. Le sociologue dénonce le parti-pris idéologique dans l’air du temps : « Toutes les tentatives de démocratisation sont dénoncées comme un « nivellement par le bas ». La loi Jospin de 1989 déclarant que « l’élève est au centre du système» apparaît comme le scandale fondateur, bien que je continue à mal comprendre ce qui est au centre de l’école si ce n’est l’élève ». Et il relève l’absence de comparaison avec « des méthodes utilisées par les pays plus efficaces, plus égalitaires et moins traditionnels en matière scolaire ». La journaliste à L’Obs ne dit rien dans son pamphlet « sur le fait qu’on donne bien plus de moyens aux classes prépas et aux établissements chics qu’aux autres et au fait que l’école élémentaire française coûte 27% moins cher que dans les autres pays de l’OCDE alors que le lycée coûte, lui, 30% de plus ». Ni sur les « efforts des enseignants face aux élèves tels qu’ils sont. »
Les élèves tels qu’ils sont, les enseignants dans leur classe, on peut les retrouver dans la belle enquête de Joanie Cayouette-Remblière, publiée aux PUF sous le titre L’école qui classe
La sociologue a suivi les parcours scolaires de plus de cinq cents d’entre eux, issus des classes populaires, depuis leur entrée en primaire jusqu’au bac. Elle montre comment se construisent les inégalités, mais aussi comment l’institution scolaire parvient à marquer tous les individus qui la fréquentent, rompant avec « le clivage entre, d’un côté l’étude des inégalités sociales à l’école, et de l’autre, l’analyse de l’institution scolaire en tant qu’instance de socialisation ; en rendant compte à la fois de l’empreinte acculturatrice de l’école (qui marque) et de son rôle de classement (qui démarque) ».
Par Jacques Munier
L'équipe
- Production