L'école, la laïcité, l'orthographe

Réflexions d'élèves de 4e du collège de Mont-sous-Vaudrey (Jura) sur la laïcité
Réflexions d'élèves de 4e du collège de Mont-sous-Vaudrey (Jura) sur la laïcité ©Radio France - Catherine Duthu
Réflexions d'élèves de 4e du collège de Mont-sous-Vaudrey (Jura) sur la laïcité ©Radio France - Catherine Duthu
Réflexions d'élèves de 4e du collège de Mont-sous-Vaudrey (Jura) sur la laïcité ©Radio France - Catherine Duthu
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La laïcité est devenue un sport de combat. C’est particulièrement vrai dans l’un de ses sanctuaires d’élection : l’école

A lire dans L’Obs le compte-rendu de l’enquête dirigée par Sébastien Roché auprès de 9000 collégiens des Bouches-du-Rhône on prend la mesure de cette profonde évolution. « La religion est devenue un marqueur social en France » constate le directeur de recherches au CNRS « et l’on voit bien que la question, aujourd’hui, ne porte plus sur les éventuelles racines chrétiennes du pays mais sur ses fondements laïques ». Car l’intensité du sentiment religieux semble inversement proportionnel au sentiment d’appartenance à la communauté nationale, comme en témoigne certains chiffres : 68% des collégiens musulmans et 34% des catholiques affirment qu’ils feraient passer leurs principes religieux avant la loi en cas de contradiction entre les deux. Des chiffres qui indiquent également une corrélation entre conviction religieuse et conservatisme ou intolérance en matière de mœurs. L’intensité de la foi est variable est variable selon les religions : 83% des adolescents qui se sont déclarés musulmans, 22% des catholiques et 40% des autres confessions (juifs, protestants etc.) considèrent la religion comme importante ou très importante. Pour un autre chercheur, Alexandre Piettre, qui observe la montée de la religiosité musulmane chez les jeunes et dans les quartiers populaires, « c’est une façon de faire communauté, d’exister ensemble mais aussi de remplir un vide, celui de la mobilisation politique impossible contre les discriminations ». Doan Bui et Nathalie Funès qui signent l’article ont recueilli des témoignages édifiants auprès des enseignants, qui confirment et donnent du relief à ces chiffres. Dans un collège de la banlieue de Tours, selon la prof d’histoire-géo, « chaque fois qu’elle entame le chapitre Grèce Antique, c’est le cirque tellement les élèves sont puritains. Quand ils voient dans le manuel des photos de vases grecs avec des hommes et des femmes nus, ils se cachent les yeux. » Et les enseignants sont directement confrontés à la concurrence d’internet et de certains prédicateurs 2.0 avec leur boniment ou leurs sornettes.

Pas sûr que la réforme de l’orthographe puisse apaiser les tensions…

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Il s’agit en fait de l’entrée en vigueur de celle qui avait été concoctée en 1990 et approuvée par l’Académie française. On se souvient qu’elle avait à l’époque provoqué une levée de boucliers dans les milieux littéraires. Pourtant l’assemblée des immortels gardiens du lexique national avait expliqué qu’elle ne faisait que poursuivre sur notre langue l’œuvre constante depuis le XVIIème siècle de « rectifications cohérentes et mesurées qui rendent son usage plus sûr ». Mais le sujet est sensible. Dans les pages Champs libres du Figaro Philippe Delerm estime que « les incohérences de l'orthographe française font partie du génie et de la singularité de la langue ». « Pendant longtemps rappelle-t-il – l’orthographe ne fut pas fixée. Montaigne écrivait différemment certains mots au hasard de ses pages. Puis vint Vaugelas, le dix-septième siècle. Et l’on fixa. Enfin. On tenta de fixer. Car un poisson aussi frétillant que la langue française a l’art de passer entre les mailles du filet. L’usage, la prononciation ont le don d’éloigner l’orthographe de l’étymologie. » L’un des points névralgiques semble être la disparition annoncée – mais seulement partielle – de l’accent circonflexe, au point qu’un hashtag circule désormais #JeSuisCirconflexe… L’écrivain se souvient de Fabien Bouleau, l’auteur subjugué de Chienne de langue française : « Impossible qu’une huître n’ait pas le circonflexe qui la ferme – s’insurgeait-il – tout comme la boîte : elles ont besoin de leur petit couvercle. Et l’île se dessine si joliment sur son « i ». » Anne-Sophie Letac, elle aussi, vole au secours du « couvre-chef orthographique doté d’un charme suranné, lui qui réunit aimablement deux accents rigides et dogmatiques, l’accent aigu et l’accent grave, qui coiffe pudiquement des dames voyelles qui jamais n’accepteraient de sortir sans chapeau, et incarne une sorte de repos de l’esprit un peu aristocratique, au dessus des éléments, gentiment conservateur ». Elle dénonce l’opération, qui ne concernera au final que 2 400 mots, soit environ 4% du lexique de la langue française, mais qu’on qualifie généralement du « terme bien peu ragoûtant de « toilettage » pour désigner la suppression des tirets, des cédilles et des lettres. Passons sur l’atroce amputation de l’ « ognon » qui tire les larmes, sur le nénufar privé de toute racine grecque et condamné à errer sur l’eau, ce qui se joue – estime-t-elle – c’est la liquidation des traces du passé. L’orthographe n’est jamais qu’un immense amas de scories venues de l’histoire, sans lesquelles la langue se réduit à la phonétique, ou à un « globish » informatique qui élimine la mémoire ». Mais – conclut-t-elle « A quelque chose malheur est bon, profitons-en pour nous débarrasser du contenu de quelques mots, benêt, guêpe, piqûre, marâtre, châtiment, chômage, et même, ô joie, impôt. »

Par Jacques Munier

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