Dans "Le peuple", Michelet affirme que pour la nation c’est comme en géologie, la chaleur est en bas.
C’est l’idée qui inspire ce courant historique qu’on appelle « l’histoire par en bas ». Edward Thompson, auteur notamment de La formation de la classe ouvrière anglaise, ou Christopher Hill, ont été des pionniers dans les années 60. En France, on peut citer le livre de Michelle Zancarini-Fournel Les luttes et les rêves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours, publié à La Découverte. L’historien américain le plus représentatif de ce courant est Howard Zinn, avec son Histoire populaire des Etats-Unis. Dans L’Humanité des débats, Markus Rediker a accordé un grand entretien à Jérôme Skalski. Le spécialiste de l’histoire de la traite négrière et de la piraterie publie au Seuil un ouvrage intitulé Les Hors-la-loi de l’Atlantique. Il revient sur la notion d’histoire par en bas en insistant sur le fait qu’il ne s’agit pas seulement d’une histoire des pauvres ou des classes laborieuses, mais de leur « capacité d’agir » et « d’affecter le cours de l’histoire ». Selon lui, les grands voiliers ont eu une importance considérable dans l’essor du capitalisme, équivalente à celle du travail salarié et de la manufacture, notamment par la traite transatlantique, et il montre que ces bâtiments ont constitué de véritables laboratoires de la division du travail en mettant en œuvre des règles de discipline extrêmement violentes. D’où les formes de résistance qui se sont développées. « En anglais – rappelle Markus Rediker – le mot grève (strike) vient d’un terme qui désigne le fait d’abattre les voiles. La première grève s’est déroulée sur les docks de Londres en 1768. » Les dures conditions de travail des marins, avec des salaires très bas, une nourriture indigente, une discipline brutale, les conduisaient aussi à la piraterie, où ils pouvaient pratiquer une forme inédite de démocratie en élisant leurs officiers et leur capitaine, en soumettant les projets d’abordage à délibération, en divisant le butin de manière égalitaire. Et c’est cela, au moins autant que les atteintes à la propriété des marchands, que les autorités françaises et britanniques cherchaient à éliminer. L’historien américain s’est employé à repérer l’écho de ces idées, portées « sur les quais et les docks jusqu’à l’intérieur des terres », et « leur impact essentiel dans le mouvement des Lumières mais aussi parmi les travailleurs ». Il rappelle que l’un des premiers opposants à l’esclavage, Benjamin Lay, était un marin.
Deux sociologues ont tenté de comprendre comment la conscience de classe vient aux enfants
Wilfried Lignier et Julie Pagis ont mené l’enquête dans deux écoles primaires d’un quartier populaire, auprès d’élèves d’entre 6 et 10 ans, du CP au CM2. Ils ont demandé aux enfants de classer différents métiers regroupés en trois ensembles : l’un qui relève des classes supérieures – architecte, patron d’usine, professeur – l’autre des classes moyennes – infirmière, boucher, fleuriste – et un autre enfin des classes populaires – ouvrier sur un chantier, vendeuse de jouets dans un magasin, personne qui s’occupe du ménage. Les enfants devaient indiquer lequel de ces métiers, proposés au masculin et au féminin, est « au dessus de tous les autres » ou « au-dessous de tous les autres ». Comme le résume Anne Crignon dans les pages débats de L’Obs, « plus que le degré de discernement, c’est le raisonnement qui prélude aux classements qui intéresse les deux sociologues ». Le critère de l’hygiène apparaît déterminant chez les CP, reflet des normes transmises par les parents : patron d’usine est dénigré (« Ça pue, une usine »), tout comme les infirmiers (« tu peux attraper une maladie »). Un autre critère est retenu par les fillettes, le beau et le laid, pour mettre tout en haut les fleuristes. Plus étonnant, un classement de type revanchard : professeur pour punir ou patron parce que « tu peux virer plein de gens »… Dans ces collèges de quartier populaire, il y a un flottement autour de l’ouvrier ou de la femme de ménage. « Ceux dont la mère passe la serpillière chez d’autres ont une mauvaise opinion du métier mais ne le classent pas trop bas : cela reviendrait à se déclasser soi-même ». La politique ne les intéresse pas, sans doute à cause de son caractère conflictuel et là aussi c’est l’influence de l’éducation parentale qui prime, « puisque les parents désapprouvent le conflit et sanctionnent la contestation chez les enfants ».
Pour eux, la première revue d’art, c’est Dada
Un N° consacré à Fernand Léger, autour de l’exposition organisée par le Centre Pompidou-Metz. Fernand Léger expliqué aux enfants, le peintre qui « se passionne pour les machines, rouages, pistons, mécanismes » et qui « aimerait faire entrer la vitesse du monde moderne dans l’art » (Emilie Martin-Neute). En vacances avec Fernand, Clémence Simon trouve qu’avec sa cigarette au coin de la bouche et sa casquette il a l’allure d’un vrai peintre ouvrier. Ça tombe bien puisqu’il voulait « conquérir le peuple » : « je monte mon boulot étude par étude, pièce par pièce, comme on monte un moteur ou une maison ».
Par Jacques Munier
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