L’information sur la crise sanitaire a suscité un regain d’intérêt pour l’actualité, comme le montre le 34e Baromètre de confiance dans les médias. Un rebond qui s’accompagne d’une baisse de la défiance à leur égard.
L’enquête réalisée en janvier (par Kantar Public et Onepoint) pour La Croix révèle une hausse de 8 points dans l’intérêt porté à l’actualité, tous médias confondus. Quant à la confiance, elle augmente également : 52% pour la radio - en hausse de 2 points - 48% pour la presse écrite - 2 point de hausse - 42% pour la télévision, plus 2 points, et 28% pour internet qui progresse de 5 points. Reste la question de l’indépendance des rédactions et des journalistes, essentielle pour la liberté de l’information en démocratie, dont l’estimation progresse également dans l’opinion, mais demeure faible.
Moins d’un Français sur trois (29 %) juge les professionnels de l’information indépendants des pouvoirs politiques (+ 4 points) et financiers (+ 3 points).
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Dans un ouvrage qui vient de paraître au Seuil sous le titre L’information est un bien public Refonder la propriété des médias, Julia Cagé et Benoit Huet rappellent que neuf personnes possèdent 90% des médias, « limitant le pluralisme et appauvrissant d’autant le débat public ». L’économiste et le juriste estiment par exemple anormal que les journalistes ne soient pas consultés lorsque leur titre est vendu, ni que « les médias se vident de leurs journalistes au fil de leurs rachats successifs par des industriels » susceptibles en outre de menacer leur indépendance. Lors de la mise aux enchères des premières fréquences de la 5G, comment ne pas s’interroger face à l’unanime enthousiasme de grands médias détenus par des opérateurs de télécom ? Les auteurs suggèrent d’adopter des règles visant à démocratiser la gouvernance des médias et leur actionnariat, comme « l’obligation d’avoir un organe de gouvernance paritaire qui compte au moins la moitié de représentants des salariés parmi lesquels au moins deux tiers de représentants des journalistes », ou encore d’instaurer de nouvelles règles beaucoup plus strictes pour limiter la concentration des médias ; ou encore de généraliser le droit d’agrément qui permet aux journalistes « de se prononcer sur un changement de contrôle majoritaire de leur média et de présenter un ou plusieurs investisseurs alternatifs ». « Une réflexion nourrie par des mouvements récents dans le secteur, comme le transfert de Libé à un fonds de dotation », relève Jérôme Lefilliâtre dans Libération, qui rappelle que Julia Cagé « a pris la présidence de la Société des lecteurs du Monde. Un poste sans pouvoir, mais qui lui permet de s’asseoir au conseil de surveillance du quotidien ». Et qu’elle a levé des fonds avec son association citoyenne Un bout du Monde, pour « soutenir les journalistes dans leurs démarches d’indépendance ».
Monopoly médiatique
Son livre, éclairant et précis, est conçu pour « armer les journalistes, les étudiants, les politiques » dans la séquence qui s’annonce avec l’élection présidentielle. Sur France Inter, Julia Cagé soulignait l’accélération actuelle des changements d'actionnariat et surtout que « jamais on a vu autant de coups portés contre l'indépendance des journalistes ». « Le monopoly médiatique des milliardaires continue », titre le site de l’observatoire critique des médias Acrimed. Benjamin Lagues et Jérémie Fabre signalent que Vincent Bolloré, propriétaire de Canal+ et CNews, serait entré en négociations avec l’allemand Bertelsmann pour lui racheter Prisma Media, un groupe de presse aux nombreux titres, notamment Capital, Geo, Voici, ou Femme actuelle. Une ambition qui vise également le groupe Lagardère et Europe 1 avec pour objectif d’offrir un « haut-parleur radiophonique à la ligne éditoriale singulièrement à droite de CNews à un an de l’élection présidentielle », soulignent Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts dans l’enquête au long cours menée sur le site Les Jours. « Souriez, vous êtes viré » titrait l’épisode 144, au sujet de l’éviction de l’humoriste Sébastien Thoen. Aux dernières nouvelles, la purge se poursuit à Canal. « On salue ledit Thoen à l’antenne ? Dehors, Stéphane Guy. On signe un texte contre le licenciement de Thoen ? Dehors, les pigistes. » Lors d’une réunion avec la Société des journalistes en décembre dernier, la direction « avait menacé explicitement quiconque regimberait du même sort que les journalistes de la chaîne info, éjectés après le grand mouvement de grève de fin 2016 ». Conclusion
La liberté d’expression brandie par la direction de Canal+ quand il s’agit de justifier les torrents de haine racistes, homophobes, sexistes déblatérés par Éric Zemmour sur CNews, est à géométrie variable.
Par Jacques Munier
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