L’information ou les jeux du cirque

Marie Portolano dans l'émission "Canal Football Club" le 27 mars 2016
Marie Portolano dans l'émission "Canal Football Club" le 27 mars 2016 ©AFP - F. Fife
Marie Portolano dans l'émission "Canal Football Club" le 27 mars 2016 ©AFP - F. Fife
Marie Portolano dans l'émission "Canal Football Club" le 27 mars 2016 ©AFP - F. Fife
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La direction de Canal+ a retiré des passages d’un documentaire de Marie Portolano sur les femmes journalistes sportives, montrant les agressions sexistes face caméra de Pierre Ménès, chroniqueur maison. L’occasion de revenir sur les fondamentaux du journalisme en temps de dérive spectaculaire.

C’est le site d’information Les Jours qui le révèle. Il s’agit notamment d’une séquence sur le plateau du Canal Football Club au cours de laquelle, hors antenne mais face au public présent dans le studio, il soulève la jupe de Marie Portolano et lui attrape les fesses. Mais d’autres moments ont également été caviardés, en particulier celui où Pierre Ménès s’enferre dans le déni et le mépris. C’est donc aussi l’occasion de s’interroger sur les dérives de l’information vers le spectaculaire. « Vendre de la discorde plutôt qu’informer » est l’une de ces dérives. Dans sa chronique « Médiatiques » de Libération, Daniel Schneidermann évoque le match BFM contre CNews : « on n’écoute pas ces programmes pour s’informer, mais pour se perfuser à la conversation nationale, s’envoyer un shoot de monde extérieur, un ersatz de social en vaquant aux besognes du soir ». Une conversation nationale de plus en plus réduite au clash ou à la promotion de la panique morale. 

Quand Pascal Praud pleure que la terre se dérobe sous ses pas parce que le musée Carnavalet a renoncé aux chiffres romains, quand il aboie à la lune, dans son cimetière, contre la dictature sanitaire ou celle de l’écriture inclusive, on en reste comme aimanté par le too much.

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C’est ce que Serge Halimi et Pierre Rimbert désignent comme « un journalisme de guerres culturelles » dans Le Monde diplomatique. L’analyse est rapportée à la crise de la presse, aggravée dans la période récente : « au deuxième trimestre 2020, la mise à l’arrêt de l’économie a sabré 20% des revenus procurés par les annonceurs du Monde et 44% au New York Times ». Depuis l’an 2000, quand Google crée sa régie, la concurrence des prédateurs d’internet a divisé les recettes publicitaires de la presse généraliste par trois. Un autre facteur a précipité l’information dans l’arène du clash : il est loin le temps où les « comptables » estimaient que les parts de marché « se gagnent au centre, comme les élections ». Aujourd’hui, « l’exacerbation des divisions politiques - et surtout culturelles - alimentent l’audience ».

Du consensus sédatif au dissensus lucratif

Le virage épouse le modèle des réseaux sociaux, celui d’une « chambre d’écho qui renvoie inlassablement aux utilisateurs ce qu’ils veulent lire et entendre ». Du coup, une nouvelle forme de censure s’installe, de nombreux dirigeants éditoriaux évitant de prendre à rebrousse-poil les « militants du clic », qui « au moindre écart, somment leurs médias favoris de rectifier le tir ou de purger les déviants ». Une étude en cours, conduite par Julia Cagé, Nicolas Hervé et Béatrice Mazoyer, montre que c’est désormais la popularité d’un sujet apparu sur Twitter qui « détermine la couverture que lui consacre la presse ». Et ça se mesure... Une tendance que confirme Olivier Villepreux dans un livre qui vient de paraître chez Anamosa sous le titre Journalisme. La standardisation appliquée au travail intellectuel des journalistes est l’un des effets du ciblage marketing désormais arbitré par des entreprises tierces, avec notamment des titres indexés, non plus sur la teneur de l’article mais sur « l’encodage des thèmes abordés pour accrocher un référencement sur Google ». Résultat collatéral : la question sociale, ou celle des banlieues ou encore des zones périurbaines n’apparaissent le plus souvent que sous l’angle du fait-divers. L’auteur s’emploie à rappeler les principes fondateurs du journalisme dans cette période propice.

Il ne faut pas donner au lecteur ce qu’il veut, mais des réponses à des questions qu’il ne se pose pas forcément de lui-même et ne peut résoudre seul.

Il en va de la légitimité des médias à rendre compte de la réalité du monde. Ce qui passe aussi par un questionnement des pratiques du journalisme. Olivier Villepreux évoque notamment la formation : « les écoles de journalisme créent une souplesse mentale qui permet de s’adapter habilement d’un média à l’autre, de manière à conserver son métier davantage qu’à le réinventer ». Or, comme le dit Edwy Plenel, « le journalisme est une autodidaxie permanente ». Signe des temps, et du conformisme ambiant : « dans les écoles, l’investigation serait un moteur très minoritaire du désir à devenir journaliste et l’influence de modèles (à imiter) importante ». Ce qui renvoie à la « starisation » du métier plutôt qu’au travail lui-même. Et consolide l’effet de « bulle » créé par l’endogamie sociale de la profession.

Par Jacques Munier

À lire aussi :

Collectif La Friche / EDUMédias : Petit Manuel critique d'éducation aux médias. Pour une déconstruction  des représentations médiatiques (Éditions du commun)

L’éducation aux médias et à l’information s’est largement développée depuis 2015 et les attentats de Charlie Hebdo. Présentée comme un outil majeur de lutte contre la radicalisation et les fausses informations, l’EMI est devenue un élément central de nombreux discours institutionnels. Elle ne peut pourtant se résumer à ces objectifs. Le collectif La Friche, composé de quatre journalistes indépendants, et l’association Édumédias proposent de la rapprocher de l’un de ses lieux fondateurs : l’éducation populaire. A travers des entretiens, des retours d’expériences et des analyses plus théoriques c’est une lecture critique de la société et de ses représentations médiatiques qui se dessine, pour repenser la fabrique même de l’information. (Présentation de l'éditeur)

Le Journal des idées
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