La campagne introuvable

Jacques Rancière
Jacques Rancière ©AFP - Ulf Andersen
Jacques Rancière ©AFP - Ulf Andersen
Jacques Rancière ©AFP - Ulf Andersen
Publicité

La France doit-elle renouveler ses institutions et prendre congé du régime présidentiel ?

Le regard porté par la presse étrangère sur l’affaire Fillon est édifiant

Courrier international en propose un éventail : de La libre Belgique à L’Orient–Le jour, ce qui domine c’est l’image dégradée de la politique que renvoie cette affaire, et l’obstination du candidat de la droite est considéré comme suicidaire pour son camp. « Faire campagne sur le terrain est devenu extrêmement difficile pour le candidat, qui semble s’être retranché dans un bunker », ajoute The Guardian, et si Fillon est parvenu à enterrer « provisoirement la contestation contre sa candidature », le journal espagnol conservateur ABC estime que « le débat, à l’intérieur comme à l’extérieur du parti, risque de se prolonger indéfiniment. Le rythme implacable du calendrier judiciaire et les sondages d’opinion menacent de tourner à la tempête de grêle permanente. » Le quotidien de Madrid El Mundo résume ainsi la situation : « La crise ouverte qui fait rage au sein de la droite française est le dernier épisode en date d’une décomposition irréversible de la scène politique française. »

Publicité

La France doit-elle renouveler ses institutions et prendre congé du régime présidentiel ?

C’est ce que pense Daniel Fortin dans Les Echos, à la lecture du livre d’Olivier Rouquan En finir avec le Président. « Taillé en 1958 pour la carrure d’un dirigeant à forte dimension historique, notre régime présidentiel a imposé une hyperpersonnalisation qui est devenue, par ricochet, son pire ennemi. » Mais Jacques Rancière a une autre explication pour comprendre le naufrage du système. Il estime dans les pages Débats de L’Obs qu’il est « oligarchique en son principe et non démocratique ». Pour le philosophe « le système représentatif est fondé sur l’idée qu’il y a une classe de la société qui représente les intérêts généraux de la société. Dans l’esprit des pères fondateurs américains, c’était la classe des propriétaires fonciers éclairés. Ce système crée un peuple qui se reconnaît dans cette classe de représentants légitimes et la reconfirme périodiquement par les élections. Peu à peu, le système représentatif est devenu une affaire de professionnels qui s’autoreproduisent. Mais, ce faisant, il a généré son propre envers, la notion mythique d’un peuple qui n’est pas représenté par ces professionnels ». L’histoire se répète : « cette oligarchie a perdu sa légitimité chez nous quand il est apparu que les propriétaires éclairés ne représentaient que les intérêts de la propriété, ce qui a éclaté au grand jour avec les assemblées “républicaines” de 1848 et 1871, massivement composées de royalistes déchaînés contre les ouvriers et les révolutionnaires ». Depuis lors, « l’oligarchie est peu à peu devenue cette classe de politiciens qui ne représente que le système lui-même ». Et la ruse est aujourd’hui de se dire “anti-système”… « Le parti majoritaire ne représente en fait qu’un cinquième du corps électoral » et « les partis adverses, à force de se relayer au pouvoir, vont, de plus en plus, se ressembler. D’où le thème récurrent du peuple méprisé et trahi. L’institution présidentielle, qui prétend incarner directement le peuple, accroît la tension interne du système. Cela produit des niches où des candidats peuvent dire : « Je suis le candidat du peuple non représenté ! » Jacques Rancière rappelle qu’à une époque, « les partis ouvriers représentaient des forces collectives organisées venant faire pression sur le système par l’extérieur. Aujourd’hui, le « vrai peuple » est une figure forgée par le système lui-même. On arrive à un point où on ne sait plus qui va tenir les rôles : désormais, un milliardaire peut représenter le peuple méprisé par les milliardaires. »

« Lorsque le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt » dit un proverbe chinois. Frédéric Worms suggère d’en inverser le sens

C’est la situation politique engendrée par l’affaire Fillon qui lui inspire cette réflexion dans les pages idées de Libération. Car c’est en l’occurrence le doigt qu’il convient de regarder aussi lorsqu’il pointe un manquement à la justice et à la déontologie. Et lorsqu’on en tire motif à généraliser sur le mode « tous pourris »… « La faute la plus grave dont s’est rendu coupable François Fillon, c’est justement de s’être prêté lui-même, pour se défendre, à cette généralisation », estime le philosophe. « Et de pointer le doigt, à son tour, vers un supposé système. De ne pas critiquer seulement (à supposer qu’il le doive) certains juges, mais la justice, pas seulement certains articles, mais la presse. » Et si l’on a pu comparer l’attitude de François Fillon à celle du pilote de la Germanwings, « ce n’est pas parce qu’il menaçait d’emmener son parti dans un crash » mais « parce qu’il trahissait la confiance dans les pilotes, en général ».

Sur l’aspect judiciaire de l’affaire, le juriste Serge Sur répond dans Le Monde à Jean-Eric Schœttl, qui parlait d’un « procès stalinien »

Pourquoi faudrait-il que la justice s’abstienne en période électorale, alors qu’elle est rendue " au nom du peuple français ", et pas au nom des politiques ou dans leur intérêt ? « Le peuple français n'aurait pas le droit d'être, en temps utile, informé sur la conduite des candidats ? »

Par Jacques Munier

L'équipe